Heli

Heli (1)

Même si le titre ne revêt aucune dimension mythologie, comme s’en défend le réalisateur, impossible de ne pas rattacher Heli à l’enfer que la famille du film traverse. Amat Escalante livre un portrait de la société mexicaine contemporaine d’une violence rare, sans complaisance, mais surtout sans concession.

Si le film comporte quelques scènes qui choqueront les âmes les plus sensibles, notamment une longue séquence de torture orchestrée par des gamins payés par les gangs pour punir leurs victimes, entre deux parties de jeux vidéo, à grands coups de triques et d’autodafé de pénis, la violence sous-tend le film tout entier. Elle habite chaque plan, comme les Mexicains apprennent à vivre avec, les médias la relayant frontalement. Elle surgit dans le quotidien d’une modeste famille installée près d’une usine automobile, à grands coups de pieds contre la porte de la maison, dans le fracas soudain des fusils mitrailleurs effaçant d’une rafale le pater, elle tord le cou d’un chiot en un éclair, elle emporte les enfants dans un flot d’insultes et de coups, les laisse en pâture aux bourreaux comme elle laisse un cadavre sur le bord de la route. Mais surtout, elle poursuit les survivants dans leur convalescence, dans leur mutisme post-traumatique, dans l’impuissance de la police aussi sale et seule que la mort elle-même, dans les entrailles de la gestation. Elle se rappelle à leur bon souvenir, comme cette apparition à la lisière de l’onirisme (voire du cauchemar) d’un tank sur le pas de la porte, menaçant de toute sa stature le ridicule Heli venu ouvrir, avant de disparaître au loin en faisant trembler le sol. Effrayante vision d’un pays en proie à la guerre des narcotrafiquants, des flics corrompus, des victimes collatérales finissant décapitées ou pendues au-dessus de la voie publique.

D’ailleurs, le film s’ouvre sur un long plan-séquence aussi beau qu’angoissant : une botte écrase un visage tuméfié à l’arrière d’un pick-up. La caméra se déplace sur les pieds d’un cadavre pour pénétrer dans l’habitacle et regarder la route, jusqu’à un passage à niveau aérien. C’est là que les malfrats vont pendre l’une de leurs victimes. Le travelling arrière qui clôt la scène glisse sur un long flash-back qui, en quelques plans, pose le tableau : Heli vit avec sa femme, son bébé, son père et sa sœur. Il travaille à l’usine. La sœur de 12 ans fréquente un cadet de la police soumis à un entraînement aussi viril qu’humiliant. Lorsque celui détourne deux paquets de cocaïne à la suite d’une saisie, et qu’Heli s’en débarrasse, la descente aux enfers débute.

Le talent d’Escalante réside dans cette faculté de poser un décor et des personnages en quelques scènes courtes avant de balader sa caméra suffisamment lentement pour permettre au spectateur d’expérimenter les épreuves que les protagonistes traversent. Le plan-séquence où la caméra suivant le retour de l’épouse et découvrant une maison vide et saccagée dont une traînée de sang souille le sol contient toute la stupeur, puis le désarroi du personnage. Lorsque celui-ci s’effondre sur le pas de la porte, le regard du cinéaste s’éloigne discrètement, avec toute la pudeur d’un témoin silencieux. Sublime.

Réalisateur: Amat Escalante – Acteurs: Andrea Vergara, Armando Espitia – Durée: 1:45 – Année: 2013 – Pays: Mexique

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Moland Fengkov

Moland Fengkov

Moland est le représentant officiel de Plume Noire au festival de Cannes. Outre sa passion du cinéma, il est photographe professionel et journaliste freelance.
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