Attention ! On va crier au chef d’œuvre. Depuis le succès d’Une séparation, Asghar Farhadi compte parmi les cinéastes iraniens avec lesquels il faut indéniablement compter. Et force est de constater que, loin de se heurter à la barrière de la langue, le cinéaste sait diriger ses acteurs avec une précision de chef d’orchestre, même lorsqu’il déplace son cinéma dans l’Hexagone.
Dès le premier plan du Passé, on découvre une Bérénice Béjo plus qu’honnête, même si son jeu garde encore les scories artificielles de ses performances chez son époux Michel Hazanavicius : est-ce la peine d’exagérer le geste et les mimiques, comme dans un film muet, pour signifier que son personnage, filmé en plan serré, cherche dans la foule d’un hall d’aéroport son ex mari revenu d’Iran ? Une vitre les sépare, ils se voient, se parlent, mais les voix butent et se perdent dans le brouhaha du terminal. Premier signal pour signifier l’incompréhension et l’incommunicabilité des protagonistes. Subtil ou grossier ? La suite du film apporte ses réponses.
Car dans le Passé, on se pose beaucoup de questions, et les réponses surprennent à chaque fois, tout en redessinant les liens qui unissent ou désunissent les personnages, plongeant l’intrigue un peu plus dans le drame. Si la principale force de cet opus tient dans l’interprétation (Béjo se débarrasse rapidement de son sur-jeu pour trouver la justesse) des comédiens, conférant à leur personnage un équilibre précaire toujours sur le fil, les rendant prêts à basculer d’un côté ou de l’autre du vide, mais parvenant tout de même à progresser pas à pas, le film souffre en revanche d’un excès d’écriture. Le scénario, sur-millimétré, réglé comme du papier à musique (à tel point qu’on attend le coup de théâtre suivant comme on attend un train de banlieue), étouffe le jeu pourtant brillant des acteurs, celui d’Ali Mosaffa et de Pauline Burlet en tête, volant la vedette à Tahar Rahim. A un rythme régulier, il nous livre un twist destiné à faire voler en éclats les liens ténus d’une famille déjà éclatée et recomposée. Film gigogne, Le Passé aurait pu s’appeler « Les Poupées russes » : chaque tiroir ouvert, chaque révélation, chaque secret révélé le précipitent davantage dans un ridicule que ne renierait aucun soap de mauvais aloi.
Au final, que nous importe de savoir qui a fait quoi ? Farhadi aurait gagné son pari s’il s’était contenté de décortiquer les relations subtiles entre les personnages sans les noyer (le spectateur inclus) dans un suspense dramatique à la limite du cinéma de petit malin. La réussite de sa direction d’acteurs se trouve gâchée par un scénario qui joue la surenchère et tire la couverture à lui. Le film ne manque pas de moments de grâce, comme ce plan où les deux hommes, l’ancien et le nouveau, se retrouvent seuls dans le silence gêné d’une cuisine, n’osant se regarder, ne sachant que se dire. Mais ces moments restent trop rares pour faire oublier la volonté de surprendre avec chacune des révélations qui rythment l’histoire. Et pourtant, cette scène résume le principal intérêt du film, à savoir la place que chaque personnage tente de trouver dans cette famille recomposée et décomposée. Un intérêt complètement balayé par la volonté d’épater le chaland.
Réalisateur: Asghar Farhadi – Acteurs: Tahar Rahim, Bérénice Béjo, Pauline Burlet, Ali Mosaffa – Durée: 2:10 – Année: 2013 – Pays: France
Moland Fengkov
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