The immigrant

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Il y a des auteurs que toute la critique aime célébrer et défendre. Quand bien même leur œuvre manifesterait une certaine baisse de régime, la puissance de leurs travaux précédents suscitera toujours une certaine indulgence aidée par la mauvaise foi qui accompagne la pratique de la politique des auteurs. On pardonne aisément les errements et les lacunes quand on connaît le savoir-faire et que les indéniables preuves de cette maîtrise ont déjà remporté tous les suffrages. James Gray compte parmi ces réalisateurs. Après avoir tissé son territoire dans le genre du thriller classique narrant des tragédies familiales en un triptyque parfait (Little Odessa, The Yards et La nuit nous appartient), il avait pris au dépourvu son public conquis d’avance en berçant dans la tragédie sentimentale, avec un Two Lovers poignant et magnifique. Prouvant qu’il pouvait changer de registre et appliquer ses recettes à un autre type d’histoire, il signait une œuvre qui laisse encore des plaies ouvertes dans le cœur de ses laudateurs.

C’est donc conquis d’avance, a priori, qu’en bon défenseur de l’œuvre de cet auteur, on découvre son nouvel opus, ambitieux et comme à l’accoutumée, inspiré de son histoire personnelle, mais cette fois-ci audacieusement tourné vers de nouveaux espaces artistiques. Car en bon auteur, James Gray explore de nouveaux genres, et le parcours d’un grand auteur passe un jour ou l’autre par la case film en costumes, film d’époque, reconstitution. The Immigrant délaisse le New-York contemporain pour faire un bon en arrière dans le temps. Nous sommes en 1921. La Grande Pomme voit déferler sur ses rivages des vagues d’immigrés fuyant la misère de la Vieille Europe. Parmi eux, deux sœurs polonaises. Aux portes du rêve américain, l’une d’entre elles voit son chemin stoppé par les services sanitaires qui la mettent en quarantaine pour cause de tuberculose. Afin de la sortir de là, sa sœur accepte de tomber dans les griffes d’un souteneur peu scrupuleux qui la plongera dans la prostitution. Lorsque le cousin de celui-ci, illusionniste au grand cœur, fait irruption dans sa vie, l’espoir renaît, mais ce sera sans compter avec la jalousie du cruel maquereau.

A l’écran, l’œuvre personnelle transparaît. James Gray croît en son entreprise, il la chérit, elle parle de lui, de son parcours, de sa famille, des siens. Tout le malheur qui pèse sur les épaules d’Ewa sert à magnifier le destin de ces immigrants qui se sont construit une nouvelle vie à la force du poignet. Des méritants, des gens de bien, qui ont pris à bras le corps le rêve américain pour le bien-être de leur descendance, avec dignité et abnégation. Pour camper cette femme courage, le réalisateur a choisi la performeuse Marion Cotillard, qui trouve ici un terrain de jeu à la mesure de ses ambitions : quelle gageure pour une actrice d’endosser les traits d’une Polonaise, double défi pour une Française que de parler l’anglais avec un accent slave. Comme à son accoutumée, l’actrice se montre bonne élève. Comme à son habitude, sa performance s’avère trop parfaite, trop appliquée, trop méticuleuse, pour sortir du cadre de l’artifice. Face à elle, Joaquin Phoenix délivre avec brio toutes les facettes de son personnage de souteneur, salaud mais fragile dans ses sentiments, ambigu et nuancé. Sans doute le personnage le mieux brossé du film.

Pour le reste, le scénario s’autorise tous les poncifs du mélo et la mise en scène, d’un classicisme éculé, aidé par une belle lumière, certes, utilisant la palette de l’ocre suranné des vieilles photographies sépia, mais finalement trop artificielle, rend l’ensemble de la reconstitution du New-York des années 1920 relativement toc. On a du mal à se laisser emporter par l’émotion que cette histoire tente d’engendrer car l’artificialité du film crée une distance qu’il ne parvient jamais à réduire. Finalement, pour la première fois, et malgré un certain cœur à l’ouvrage, James Gray déçoit. The Immigrant n’est pas un ratage, loin s’en faut, mais quand on habitue son public au meilleur, on ne peut se permettre la moindre faiblesse.

Réalisateur: James Gray – Acteurs: Marion Cotillard, Joaquin Phoenix, Jeremy Renner – Durée: 2:00 – Année: 2013 – Pays: Etats-Unis

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Moland Fengkov

Moland Fengkov

Moland est le représentant officiel de Plume Noire au festival de Cannes. Outre sa passion du cinéma, il est photographe professionel et journaliste freelance.
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