Nouveau petit chef d’oeuvre de l’un des plus grands réalisateurs russes du moment. Après Elena, qui dressait un portrait âpre de la société russe et était reparti de la Croisette avec le Grand Prix Un Certain Regard, Andreï Zvyaguintsev surprend en instillant de l’humour dans un film qui n’a rien d’une comédie, ce à quoi son cinéma ne nous avait pas habitués jusque là.
Toujours servi par une photo magnifique, depuis Le Retour le film, empreint de mysticisme allégorique, porté par la musique envoûtante de Philip Glass, pointe du doigt le pouvoir de l’administration corrompue qui écrase les petites gens, à travers le récit d’une famille installée dans une modeste maison au bord de la mer, que le maire veut faire détruire. Adultère, quotidien morne qu’on trompe en buvant de la vodka et en tirant à l’AK47 sur des cibles, culpabilité, suicide, procès expéditif. La comédie vire subtilement à la tragédie. Et le drame intimiste s’élève alors en touchant à l’universel. Car à travers la vie d’un quidam broyée par le pouvoir mafieux et corrompu du village, c’est la gangrène de l’argent qui touche des nations et des états entiers que le film dénonce.
Le film frôle la perfection, tant il s’illustre en équilibre dans tous les compartiments, du scénario à la photographie, en passant par la musique et le jeu des acteurs, tous époustouflants. La corruption envahit l’écran comme une force tellurique implacable, à l’instar des forces de la nature du film, dont l’intrigue se situe en bordure de la mer de Barents. Emblématique, cette carcasse de baleine. Belle, à l’abandon, imposante, rongée. Rongés, les voitures, rongé, le paysage, rongées, les maisons, rongées, les âmes des hommes : par la culpabilité adultère, par la soif de l’argent, par le désespoir qu’on noie dans l’alcool, par la violence qui sommeille pour mieux éclater.
Cette fable moderne séduit dès ses premiers plans, pour ne plus lâcher le spectateur, grâce à la maitrise de tous les éléments dont Zvyaguintsev dispose : scénario, dramaturgie, photographie, musique. Un tel équilibre pour livrer une leçon de cinéma solennelle et mystique d’une cruauté amère. Magnifique.
Réalisateur: Andreï Zvyagintsev – Acteurs: Vladimir Vdovichenkov, Elena Liadova, Alexei Serebraikov – Durée: 2:20 – Année: 2014 – Pays: Russie
Moland Fengkov
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