Un premier plan fixe, flou. Un personnage entre dans le cadre, s’approche, devient net, apparaît. Dès lors, la caméra le suit en un long plan séquence. Le fils de Saul, du Hongrois Laszlo Nemes, annonce la couleur dès le début. Un système, un parti pris, une mise en scène rigoureuse qui se tient de bout en bout : en journalisme, on appelle cela un angle. Et quel angle ! D’une pertinence folle, son film assume tous ses choix et leur donne du sens.
Comment raconter le camp de concentration d’Auschwitz sans bercer dans la facilité ? Nemes choisit une approche à la lisière du documentaire, en épousant le point de vue de son personnage principal, en perpétuel mouvement. L’horreur de la chambre à gaz, on ne la voit pas, mais on sait, car lui sait. Saul est un Sonderkommando, soit un Juif que les SS employaient comme main d’œuvre pour effectuer toutes sortes de tâches, de la collecte des effets personnels des condamnés au nettoyage, en passant par l’accompagnement des victimes jusqu’à la porte des douches. A la manière du Julien du Rouge et le Noir de Stendhal, le spectateur ne voit que ce que Saul voit. L’horreur se montre hors-champ, en arrière plan, flou, ou encore à travers la bande sonore, assourdissante, dans le vacarme du camp et le mélange des voix. A travers ce regard, c’est le quotidien d’une véritable usine qu’on découvre. Une petite entreprise qui produit des cadavres, jusqu’à plusieurs milliers par jours. A partir de ce point de vue subjectif, les petites intrigues, mêlant solidarité entre les membres du Sonderkommando, mais aussi leurs tensions internes, en passant par les préparatifs d’une résistance armée (ou du moins sa tentative), se livrent par touches.
Le film doit son titre à l’obsession de Saul, qui croit reconnaître son fils dans l’un des cadavres d’enfants. Il passe toute la durée du film à tenter de trouver un rabbin qui récitera le kaddish pour enterrer l’enfant décemment. Même lorsque la rébellion éclate, ajoutant de la violence à l’enfer du quotidien, Saul reste campé sur son idée fixe. La profondeur de champ évolue alors, au cours de la fuite des Juifs dans la forêt, l’espace s’aère, respire, comme pour mieux espérer. C’est là que le film rate un peu sa fin, usant de symboles et d’apparition lorgnant du côté du cinéma de Tarkosky. Inutile, car la force du film réside dans sa claustrophobie visuelle. Hormis cette fin discutable, le film reste une belle leçon de mise en scène, brillante, forte, surtout pour un premier film.
Moland Fengkov
Latest posts by Moland Fengkov (see all)
- Loving - February 15, 2017
- American honey - February 8, 2017
- The Last Face - January 11, 2017
Commentaires