Cannes, dimanche 25 mai 2008, 9h23. La pluie narquoise tapote délicatement le velux. Une routine, cette année. Des voix envahissent mon sommeil. « Ah, vous avez gardé le sac Che ». C’était vraiment un pique-nique à deux vitesses, celles et ceux qui ont assisté à la projo en salle Bazin n’ont eu droit qu’à un pauvre kit kat, les restes de ceux en Debussy, en somme.
Leur projet était de prendre un petit déjeuner dans une ville qui sournoisement reprend ses droits, les festivaliers ayant rejoint les cohortes vaporeuses de fantômes, et d’aller à la rediffusion de Two Lovers à 9h. Vous vous seriez endormis. Sans aucun doute, mais on n’aurait pas manqué la première séquence, à couper le souffle, et c’eut été beau de se réveiller par intermittence au milieu des images de ce film.
Arrivés dans l’appartement, ils se sont raconté leurs souvenirs. Un long plan séquence baigné dans les vapeurs cotonneuses du petit jour et des dernières cigarettes qu’on s’échange, dont la bande-son vous berce. T’as de belles photos ? Non, que du flou, une bonne idée de Cannes. Toi, en revanche, t’as fait de belles vidéos. Oui, une interview « Zabriskie Point » de Bégaudeau à la lueur d’une bougie, sur la page, à la soirée Entre les murs, une rencontre fortuite avec Thomas de la Nouvelle star au Ball Room. Pour peu qu’il décroche la Palme. Thomas ? Non, le Cantet. Quels sont vos plus beaux souvenirs de cette édition ? Moi, c’est d’ordre sentimental. Moi, y en a plein, mais je me souviens de cette sortie de soirée : je déambule au petit matin sur la Croisette avec Louis G. Deux nénettes à bord d’une décapotable nous abordent. « Eh, les gars, grimpez, on vous emmène à la plage. » Nous avons passé une heure ou deux sur le sable, à faire tourner des bédos, en parlant de tout et de rien, puis on s’est salué. C’était beau… Et votre pire souvenir ? Sans hésitation, cette nuit passée à dormir sur le carrelage d’une cuisine, chez des gens que je ne connais pas, parce que j’avais oublié à l’appartement mon jeu de clés, batterie du téléphone à plat, et n’avais pas eu la présence d’esprit de sonner à l’interphone pour que mes colocataires m’ouvrent la porte. Moi je me retrouve à m’enfiler des hamburgers tout seul au McDo, comme un galérien esseulé. J’épluche mon courrier et découvre une invitation à dîner à une soirée. La lose ! Lorsque je m’y rends, mes collègues me demandent où je traînais, m’informent que tout le monde me cherche. Je n’ai pas osé leur dire pourquoi j’avais manqué le dîner… Autre chose, j’allume la radio, France Cul. Je tombe sur un auditeur en train de hurler des insultes à mon égard. Je me dis qu’il est trop tôt pour ces conneries, je trouve ça violent, je coupe le poste aussi sec. Ah, et cette junkie que je fais rentrer en boîte et qui cinq minutes plus tard se fait virer après avoir tiré les cheveux du videur… Moi, j’arrive à la soirée […], une responsable m’aperçoit, ne me reconnaît pas et lance :« Ah, c’est vous les danseuses ? Tenez, enfilez ça ! » Elle me tend alors un short moulant, la tenue que les gogo dancers, payées 10 euros de l’heure, portaient à cette fête. Je me suis sentie humiliée. L’an passé, c’était des actrices porno qui attiraient l’attention à la même fiesta. Oui, je me souviens de l’interview de Y. Elle me parlait de double pénétration anale, moi je tentais de rester concentrée tout en me disant en mon for intérieur que tout de même, c’est pas rien, une double péné anale.
C’est drôle comment un buzz peut circuler et de quelle manière. Il y a deux personnes qui ont piqué une tête dans la piscine de la Villa de mai, et le lendemain, on entendait les gens déclarer que la soirée était géniale, tout le monde s’est retrouvé à poil dans l’eau. J’ai également entendu des attachés de presse me féliciter pour mon nouveau petit ami, alors que je suis on ne peut plus célibataire. D’ailleurs, c’est toi, le SMS de Libé ? « Vendredi, 4h06. Entendu à la soirée du Garrel, avec des sanglots dans la voix : je n’ai pas roulé une seule pelle de tout le festival ». C’est amusant comme on a l’impression de ne pas avoir vécu les mêmes fêtes que celles auxquelles se rendait Technikart. Quand on regarde leurs photos, on se dit qu’ils ont vécu un tout autre festival que le nôtre. Oui, je ne suis pas sûr qu’ils s’endorment dans leur robe de soirée, eux. Je n’oublierai pas cette vision lorsque je t’ai vue sortir de ton lit dans cette tenue. Elle est tout de même mieux que celle de Wenders. Ah oui, je l’ai croisé, avec sa coupe de cheveux pas possible, vêtu d’un T-shirt Mickey Mouse… Mis à part leurs photos, j’aime bien leurs idées, notamment celle de donner la parole à un réal dont ils ont critiqué le film la veille. Oui, les cinéastes lisent les critiques, et parfois, partent en chasse de son auteur. L’an passé, Reygadas avait lancé un contrat sur JW. Lequel ? Il en existe deux… Sont lourds, tous ceux qui vous abordent dans une soirée, il n’y a pas longtemps, j’ai coupé court en lançant un « dégage ! J’ai pas envie de parler ! » Moi j’ai une technique : j’empoigne mon téléphone et simule une conversation ; je lance un sourire à l’intrus, ébauche un signe de la main lui signifiant qu’on se parle plus tard et m’éclipse dans la foule. Seulement voilà, il m’est arrivé de me faire griller. J’avais oublié de passer en mode silencieux et mon portable s’est mis à sonner alors que j’étais censée être déjà en ligne. Moi, j’entends rien en soirée, mon téléphone est mort, alors j’envoie des SMS. Le comble pour un téléphone de ne pas pouvoir passer de coups de fil.
Moland Fengkov
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