Cannes 2015, 12e jour : un palmarès de pourquoi pas

L'acteur français Vincent Lindon, prix d'interprétation masculine au Festival de Cannes 2015 pour son rôle dans "La loi du march" de Stéphane Brizé.

L’acteur français Vincent Lindon, prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes 2015 pour son rôle dans “La loi du marché” de Stéphane Brizé. (c) Moland Fengkov.

Quand les organisateurs du Festival de Cannes  annoncent le nom du président du jury, on cède souvent au réflexe d’imaginer ce à quoi pourrait ressembler le palmarès à l’aune de la filmographie dudit président, de sa personnalité, de son univers. Avec les frères Coen, que pouvait-on espérer ? Un film audacieux, certainement, maîtrisé, sans doute, dont le sujet prendrait autant de place que sa mise en scène, à coup sûr.

Seulement voilà. La 68e édition du festival proposait des films en compétition qui, au fil des jours, pouvaient pour la plupart prétendre à la tant convoitée Palme d’or. Chaque nouveau film en lice projeté s’accompagnait de son torrent d’éloges : “La véritable claque du festival !”, “notre Palme d’or !“, “[…] écrase la concurrence !” Jia Zhangke, Hou Hsiao Hsien, Jacques Audiard, Paolo Sorrentino, Nanni Moretti, Laszlo Nemes… Autant de réalisateurs qui ont séduit une large frange du public et des critiques. Autant de films qui laissaient présager d’un palmarès à géométrie variable, où chaque prix aurait pu revenir au voisin. Partant, il s’avérait difficile de dégager un véritable favori. Il est donc naturel que le palmarès délivré le 24 mai 2015 par le jury divise, ravissant les uns pour mieux faire grincer les dents des autres.

Le réalisateur hongrois Laszlo Nemes grand prix du   Festival de Cannes 2015 pour "Le fils de Saul"  le 24 mai 2015.

Le réalisateur hongrois Laszlo Nemes grand prix du Festival de Cannes 2015 pour “Le fils de Saul” le 24 mai 2015. (c) Moland Fengkov.

Si, comme ses prédécesseurs, le jury a affiché une solidarité, affirmant que le film qui repart avec la Palme a joui d’un consensus dans ses rangs, il aura su déjoué les pronostics à bien des égards. Malgré une concurrence rude, le prix d’interprétation masculine décerné à Vincent Lindon pour sa magistrale performance dans La loi du marché (critique du film) de Stéphane Brizé ne constitue pas une surprise et personne n’ose vraiment le contester. Même si Vincent Cassel, Michael Caine, Tim Roth, Gérard Depardieu, Benicio Del Toro ou encore Colin Farrell et Michael Fassbender pouvaient espérer figurer à cette place du palmarès. Car cette année, les acteurs se sont particulièrement illustrés.

Autre prix qui semble bien à sa place : le Grand Prix décerné au 1e film du Hongrois Laszlo Nemes. Le Fils de Saul (critique du film), projeté en début de festival, avait marqué les esprit par sa maîtrise, son parti pris de mise en scène (montrer l’horreur d’un camp de concentration à travers le point de vue d’un membre d’un sonderkommando) et son sujet, et gardait sa place de favori dans le coeur de nombre de festivaliers. En lui attribuant le 2e prix le plus important, une sorte de Palme bis, le jury salue l’arrivée d’un grand réalisateur dans la grande famille du cinéma. Un cinéaste qui ose, qui propose, qui assume.

La première véritable surprise vient du prix d’interprétation féminine. Emmanuelle Bercot, en premier lieu. Son rôle de femme empêtrée dans une passion destructrice dans Mon roi de Maïwenn se résume à des crises d’hystéries et la gestion d’un corps en convalescence. On lui aurait préféré la chorégraphie sur le tube des Pet Shop Boys Go west de l’actrice chinoise Zhao Tao dans Mountains may depart de Jia Zhangke. En deux plans (celui d’ouverture et le dernier du film), qui se répondent, l’actrice raconte, à travers son corps en mouvement, sur son visage, les espoirs et la nostalgie. Double surprise pour ce prix, puisque la Française le partage avec Rooney Mara, qu’on aurait davantage vue partager le prix avec sa partenaire dans Carol de Todd Haynes, Cate Blanchett. Si l’actrice ne vole pas son prix, tant elle illumine le film en usant de son regard mélancolique pour exprimer toutes les émotions de son personnages, comme dans ce plan final de toute beauté, sa performance vaut en regard de celle de sa partenaire à l’écran.

L'actrice britannique Sienna Miller  à la conférence du jury du   Festival de Cannes 2015 le 24 mai 2015.

L’actrice britannique Sienna Miller à la conférence du jury du Festival de Cannes 2015 le 24 mai 2015. (c) Moland Fengkov.

Au rayon des surprises, et pas des moindres, on s’étonne de voir le jury récompenser le scénario de Chronic de Michel Franco, quand celui-ci ne tient qu’en quelques pages : le film se montre fort répétitif, alignant les situations somme toutes similaires. Le personnage de Tim Roth, infirmier accompagnant des malades en fin de vie, passe d’un patient à un autre, au fur et à mesure que ceux-ci passent de vie à trépas. Avec quelques nuances près, bien entendu, puisqu’on découvre par petites touches son propre parcours. Mais The Lobster, repartant tout de même avec le Prix du jury, proposait sans conteste le scénario le plus incroyable du festival. Dans un futur proche, une société impose à ses membres de former un couple assorti, au risque de se voir transformé en animal. Surréaliste, loufoque, inquiétant, le film de  Yorgos Lanthimos navigue entre humour noir  pince-sans-rire et pamphlet angoissant sur une certaine idée du totalitarisme de la norme.

Hou Hsiao Hsien part avec un logique prix de la mise en scène. Logique, car toute la Croisette s’accorde à reconnaître la beauté de The Assassin, film de sabre avec pas plus de 10 minutes de combats. Contemplatif, extatique, le film du réalisateur taïwanais, dont peu de monde a compris l’intrigue, ses tenants et ses aboutissants, mais dont beaucoup ont salué la maestria, administre une véritable leçon de cinéma, en s’inventant sa propre esthétique pour s’approprier un film de genre.

En revanche, la fameuse Palme d’or, si elle contentera ses laudateurs (il y en a), elle représente la plus surprenante et peut-être la plus contestée de ces dernières années. Alors oui, Deephan s’ancre dans l’actualité, bouleversée par les flux migratoires de laissés pour compte venant d’Afrique, du Moyen-Orient et de l’Asie. Oui, le film de Jacques Audiard s’inscrit dans ses obsessions : comment l’homme se situe-t-il face à la violence, comment il se bat pour se créer ou préserver son univers, sa famille (ici, un ex combattant tamoul fuit le Sri Lanka avec une femme et un enfant pour constituer une famille artificielle et se retrouver concierge dans une banlieue craignos au beau milieu d’une guerre de gangs) ; oui, la mise en scène se veut moins ampoulée que celle de De rouille et d’os (critique du film), par exemple, plus honnête, plus centrée sur un certain sens du réel. Mais peut-on décemment invoquer le consensus de la Palme avec un film qui bascule, dans sa dernière partie, vers le film de genre, transformant une brillante chronique sociale et politique en production de Luc Besson avec en son centre un  Charles Bronsons sauce tandoori défouraillant à la machette tout ce qui bouge ? Le verdict est tombé, Audiard, qui court après le saint Graal depuis Un prophète (critique du film), peut savourer. Mais ce sera en laissant un goût amer sur un palmarès qui ne reflète qu’à moitié un millésime 2015 qui pourtant se montrait de haute volée, avec des films de qualité à peu près égale. Dommage.

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Moland Fengkov

Moland Fengkov

Moland est le représentant officiel de Plume Noire au festival de Cannes. Outre sa passion du cinéma, il est photographe professionel et journaliste freelance.
Moland Fengkov

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