Le cinéma d’Audiard se base toujours sur de nouvelles manières d’explorer les lois et les limites du cinéma. Une volonté de ne jamais se reposer sur ses lauriers tout en cherchant à questionner la forme et le fond. Avec Dheepan, c’est dans le réel qu’il se lance. En abordant des thèmes d’actualité, comme la violence dans les banlieues françaises et la question des migrants. Sans pour autant prétendre à une narration documentaire. Seulement voilà : à partir de son idée de départ, le réalisateur ne semble pas comment répondre aux questions que pose le sujet de son film, et partant, effectue des choix qui, s’ils préservent un temps l’illusion qu’il maîtrise son sujet, ne tardent guère à révéler leurs failles.
Hormis un prologue en Asie et une conclusion en Angleterre, le film se déroule dans un lieu unique : une cité de banlieue gangrénée par la guerre des gangs. Véritable laboratoire, cet espace ne sort jamais de son statut de décor quand le film aurait gagné à en faire un personnage à part entière. Moins boursoufflée que dans ses précédents opus, la mise en scène joue la carte du réalisme, mais bizarrement, ne recueille que l’effet inverse. On n’y croit pas une seconde. Comme si la vision qu’il livre de la banlieue ne relève que du fantasme ou des clichés de comptoir. Les personnages ne dépassent jamais l’archétype proche de la caricature, même si on sent l’intention de donner le rôle du chef de gang à un acteur blanc et non issu de l’immigration (pour ne pas stigmatiser une communauté, sans doute ?), le film réduit la population aux voyous et ne montre rien du quotidien socio-culturel de la cité. Dheepan, ancien Tigre tamoul, parachuté en France avec de faux papiers, accompagné d’une femme et d’une fille, avec qui il prétend former une famille, se retrouve témoin de cette violence du quotidien qui revêt d’autres formes que celles qu’il connaissait dans son propre pays. Concierge au milieu des gangs, on aurait pu espérer qu’il serve d’observateur pour dépeindre les arcanes d’une micro-société livrée à elle-même, mais Audiard semble davantage préoccupé à composer ses plans et surveiller ses mouvements de caméra qu’à questionner l’intégration d’une fausse famille dans un milieu hostile. Du coup, on ne s’intéresse que peu aux liens qui se tissent tant bien que mal entre les membres de cette famille artificielle, qui se retrouve à l’image du film tout entier : artificiel, sans crédibilité, creux dans son discours, et finalement, perdu par sa forme même, celle-là sur laquelle la mise en scène s’accroche.
Aussi, lorsque le film bascule dans la série Z à faire pâlir de jalousie les productions de Luc Besson, dans une dernière partie donnant la part belle aux scènes de massacres, au centre desquelles Dheepan libère le tigre qui sommeille en lui, devenant un justicier n’ayant rien à envier à Charles Bronson, on touche au ridicule. Les velléités de réalisme volent alors en éclat au fur et à mesure où Dheepan défouraille du sauvageon à chaque étage. Ratage complet.
Réalisateur: Jacques Audiard – Acteurs: Antonythasan Jesuthasan, Kalieaswari Srinivasan, Claudine Vinasithamby – Durée: 1:55 – Année: 2015 – Pays: France
Moland Fengkov
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