Carol

carolSur le papier, Carol de Todd Haynes détient tous les atouts pour séduire : à la barre, un réalisateur anticonformiste soucieux du détail, une adaptation d’une œuvre de la romancière Patricia Highsmith qui résonne avec un des thèmes d’actualité du monde occidental moderne, au casting, un beau duo d’actrices à la beauté et la sensibilité complémentaires. Rooney Mara, toute en fragilité du regard, du corps, de la voix, face à la beauté froide et sophistiquée de Cate Blanchett, tiennent le film sur leurs épaules et livrent une performance des plus honnête. Elles irradient l’écran de leur plastique et semblent croire en leur personnage respectif. Mais une fois avoir constaté que Todd Haynes maîtrise sa lumière, ses travellings, ses cadres, conférant au film une atmosphère feutrée et posée où tout semble à sa place, une fois avoir pu vérifier le talent des deux actrices principales qui, en quelques scènes, dessinent les contours de leur duo, l’ennui vient à poindre insidieusement.

Le problème du film tient, paradoxalement, dans sa forme comme dans son fond, ou plutôt dans la symbiose qu’elles ne parviennent pas à créer. Narrer une histoire d’amour entre deux femmes dans les années 50, à une époque où ce type de relation se cogne aux conventions sociales, aurait pu constituer une bonne idée pour faire écho à la question de l’amour entre personnes du même sexe dans la société occidentale moderne, mais dans le même temps, on se demande pourquoi avoir choisi de placer cette idylle dans les années 50. La réponse est bien entendu évidente : pour mieux opposer la pureté des sentiments aux obstacles de la morale. Pourquoi pas. Sauf que Haynes ne parvient pas à tirer parti de ce contexte. Sa mise en scène s’en tient à un tableau élégant, coloré et bien reconstitué, mais le poids des qu’en dira-t-on ne transparaît pas à l’écran. Le film se trouve réduit à sa forme qui devient rapidement vaine, malgré la belle performance des actrices, hélas trop engoncées dans leur époque pour insuffler à leurs sentiments un brin de chaleur. Même la scène de sexe dont on devine les intentions du réalisateur tombe à plat et échoue dans sa volonté de véhiculer au spectateur le désespoir des corps qui s’étreignent.

Carol déploie tous ses arguments dans sa forme, donc, mais celle-ci finit par desservir son propre propos en refusant (ou en ne parvenant jamais à) d’emprunter la voie sulfureuse de l’anticonformisme pourtant propre au cinéma de Haynes. Trop sage, trop sirupeux, trop policé, le film ne dépasse jamais le soap-opera dans lequel il baigne le spectateur. Dommage.

 

Réalisateur: Todd Haynes – Acteurs: Cate Blanchett, Rooney Mara – Durée: 1:58 – Année: 2015 – Pays: Etats-Unis

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Moland Fengkov

Moland Fengkov

Moland est le représentant officiel de Plume Noire au festival de Cannes. Outre sa passion du cinéma, il est photographe professionel et journaliste freelance.
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