Résultat : le jury du millésime 2016 aura fait pire que celui de l’an passé. Car si la Palme d’or décernée à Dheepan de Jacques Audiard nous reste encore au travers de la gorge, au moins figurait en bonne place au palmarès Le fils de Saul de Laszlo Nemes. Le palmarès 2016 restera comme l’un des plus incompréhensibles du Festival de Cannes. Palme d’or, donc, pour Moi, Daniel Blake, de Ken Loach. Félicitations à celui qui annonçait il y a deux ans arrêter le cinéma. Si ce film renoue avec ce que le réalisateur fait de mieux, il n’en reste pas pour autant dans sa zone de confort, servant les bonnes vieilles recettes du cinéma social mettant en scène des gens de bien écrasés par le système. Manichéen au possible, le film fait mouche mais sans surprise. C’est comme si vous alliez dans un restaurant dans lequel vous avez vos habitudes. Vous connaissez la carte par coeur, vous savez ce que vos papilles vont y trouver, votre porte-feuilles en aura pour son contenu, mais vous n’aurez aucune surprise en retour. Des réalisateurs comme Loach restant dans cette fameuse zone de confort, il y en avait une poignée en lice. Les Dardenne, Almodovar, pour ne citer qu’eux.
En revanche, d’autres, sans en faire des tonnes, livraient de véritables propositions de cinéma, alliant la forme et le fonds dans un savant équilibre, avec des parti-pris assumés et cohérents : la caméra pivotante de Cristi Puiu captant les va-et-vient d’une famille au bord de l’implosion dans un huis-clos étouffant (Sieranevada), la farce surréaliste de Bruno Dumont (Ma loute), la comédie grinçante de Maren Ade (Toni Erdman), l’énergie pop d’Andrea Arnold (American honey), la célébration des petits bonheurs quotidiens de Jim Jarmusch (Paterson), l’épouvante conceptuelle d’Olivier Assayas (Personal shopper), le réalisme angoissant de Brillante Mendoza (Ma’Rosa), la sobriété sophistiquée de Cristian Mungiu (Baccalauréat), l’outrecuidance visuelle de Nicolas Winding Refn (The neon demon) ou encore le thriller pervers de Paul Verhoeven (Elle).
Au final, les jurés semblent avoir voulu prendre à contre-pied le public et les critiques, faisant fi des rumeurs et des coups de coeur de la masse, pour se distinguer et assurer sa souveraineté, quitte à décevoir. C’est ainsi qu’ils priment l’hystérie du jeune Xavier Dolan (Juste la fin du monde), Grand Prix, et le scénario du Client d’Asghar Farhadi, un film qui aurait mérité davantage. Au rayon des prix d’interprétation, la bande à Miller prime deux outsiders, la philippine Jaclyn Jose (Ma’Rosa) et l’Iranien Shahab Hosseini, au détriment d’Isabelle Huppert, Adèle Haenel, Kristen Stewart, Adam Driver, Fabrice Luchini, ou encore Joel Egleston.
Seules consolations : les prix du scénario étrangement ex-aequo pour Assayas et Mungiu, mérités, et le Prix du Jury pour Andrea Arnold qui livre l’un des films les plus persistants sur nos rétines : un mélange entre Larry Clarke, Harmony Korine et Terrence Malick.
Finalement, la 69e édition du Festival de Cannes restera davantage dans les mémoires pour sa sélection officielle de bon aloi que pour son palmarès relativement à côté de la plaque, en cela qu’il ne rend pas hommage à la qualité des films présentés. C’est d’autant plus décevant qu’on pouvait s’attendre à plus d’audace venant d’un réalisateur qui nous avait gratifiés l’an passé de l’un des films les plus novateurs et les plus ambitieux des dernières années, en matière de mise en scène : Mad Max : Fury Road.
Moland Fengkov
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