Après le succès de sa série Le P’tit Quinquin, Bruno Dumont poursuit et prolonge la nouvelle orientation de son cinéma vers l’absurde et la comédie burlesque. Avec jubilation. Complètement à l’opposé de ses œuvres austères, mystiques et intellectuelles que sont L’Humanité, par exemple, ou encore Hors Satan, Dumont livre avec Ma Loute une farce surréaliste qui ne souffre aucune comparaison. Drôle, méchante, mystique, un tantinet gore, cette tambouille jouit d’une recette riche en ingrédients qui la rend inclassable. 1910. Une famille de bourgeois dégénérés s’installe dans la maison familiale de bord de mer, aussi baroque qu’eux-mêmes sont décadents. Chaque membre est une créature improbable, du chef de famille, à la démarche cassée et au discours débile, à l’aînée des rejetons, beauté androgyne et rebelle, en passant par la mère, aux émotions à fleur de peau. Parce que le démiurge Bruno Dumont ne crée pas ce bestiaire par plaisir vain, il lui fait croiser la route d’une autre famille, tout aussi inquiétante, de chiches pêcheurs. Entre les deux, un duo comique d’enquêteurs sur la piste des coupables d’une série de disparitions, dont le réalisateur se joue de l’obésité outrancière de l’un d’eux. Souci du détail, de la lumière aux costumes, en passant par les décors, Dumont ne laisse rien au hasard et on devine la charge critique sous les rires moqueurs que déclenchent les situations grotesques, témoin les sons que produit la chute de l’inspecteur Machin (c’est son nom !) sur les dunes de sable.
Le non-sens ambiant ne s’avère pourtant jamais gratuit. C’est là l’une des forces du film. Injecter du symbole, mélanger les genres, insuffler de la modernité à un film d’époque, et proposer un discours gigogne sur la lutte des classes sans prendre parti, dans une comédie d’auteur qui en a, de la hauteur. Le tout, servi par des acteurs repoussant leurs limites. Fabrice Luchini n’a jamais été aussi bon tout en dérision et en pédanterie, tandis que Juliette Binoche est en totale roue libre. Autour d’eux, les acteurs non professionnels ne sont pas en reste et complètent cette galerie de personnages tous aussi déjantés les uns que les autres. On frôle le chef d’œuvre.
Réalisateur: Bruno Dumont – Acteurs: Fabrice Luchini, Juliette Binoche, Valeria Bruni Tedeschi – Durée: 2:03 – Année: 2016– Pays: France
Moland Fengkov
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