Cristi Puiu fait partie d’une nouvelle génération de cinéastes roumains qui, à l’instar de son confrère palmé à Cannes, Cristian Mungiu, revigorent depuis une dizaine d’années le cinéma de leur pays. Acerbes, cruels, inventifs dans leur façon de raconter leur société. Puiu, par exemple, avait surpris le grand public avec La mort de Dante Lazarescu, soit une course folle d’un pauvre hère de services d’urgence en services d’urgences, confronté aux lacunes du système hospitalier. Avec Sieranevada, le réalisateur change de registre, puisqu’il place son récit entre quatre murs, dans un huis-clos familial claustrophobe où les membres d’une famille réunie à la mémoire du père mort depuis 40 jours s’étripent autours de réflexions sur l’état de leur pays.
Comment filmer dans un espace aussi réduit sans sombrer dans le théâtral ? Puiu y parvient avec maestria, promenant sa caméra en de vifs mouvements élégants pour saisir les va-et-vient de pièces en pièces, les portes qui claquent, le temps qui s’étire au fur et à mesure qu’on se déchire sur la nostalgie du communisme et les théories complotistes, en attendant un pope qui prend son temps pour se montrer. Cette caméra se comporte un peu comme l’âme du défunt qui observerait ses proches. Il suit chacun d’eux, n’en laisse aucun de côté, et capte leurs rancunes, leur colère, leur désespoir. Bien évidemment, ces figures maudites sont une allégorie des états d’âmes de la société roumaine, qui, après avoir subi la dictature, peine à jouir pleinement de sa liberté.
Une telle maîtrise du plan séquence ne peut que donner un film réussi. La fureur des disputes qui règne dans l’appartement confine au malaise. On étouffe en attendant l’arrivée salvatrice du pope. On espère que passer finalement à table apportera une bouffée d’air dans l’atmosphère électrique qui habite chaque pièce de l’appartement. Et surtout, on se rend compte qu’à l’extérieur (car le film sort deux fois du décor fermé), c’est encore pire : les relations humaines et sociales s’y expriment avec une rare violence. Il y a du désespoir dans cette farce familiale qui n’est qu’une métonymie de la société tout entière, mais Puiu ne cède jamais au pathos. Au contraire, il peut s’autoriser un soupçon de cynisme, d’humour décalé, comme pour mieux conjurer un certain désenchantement. Cruel mais réjouissant.
Réalisateur: Cristi Puiu – Acteurs: Mimi Branescu, Judith State, Bogdan Duitrache – Durée: 2:53 – Année: 2016 – Pays: Roumanie
Moland Fengkov
Latest posts by Moland Fengkov (see all)
- Loving - February 15, 2017
- American honey - February 8, 2017
- The Last Face - January 11, 2017
Commentaires