Commentaire du palmarès de Cannes 2011

Ainsi donc, le film qui aura indéniablement proposé les images les plus déroutantes mais surtout les plus fortes, celles qui s’imposent et s’installent dans la mémoire longtemps après les avoir vues (subies pour beaucoup) remporte sans réelle surprise la Palme d’Or. Participant de la légende, le lauréat, absent de la conférence de presse comme de la Montée des Marches, ne viendra pas chercher sa récompense. Timidité, aversion pour le décorum, ego sur-dimensionné ? Une attitude à l’image de l’oeuvre, insaisissable, hermétique, personnelle jusqu’au déni d’autrui. Terrence Malick et son Tree of life a su se faire attendre (il devait déjà faire partie de la compétition de la 63e édition du Festival de Cannes) pour mieux marquer l’histoire du festival. On ne peut pour autant s’empêcher de s’autoriser une comparaison avec l’autre cinéaste de cette 64e édition, qui aura brillé par sa présence, puis par son absence. Lars Von Trier aurait pu prétendre à la Palme d’Or, avecMelancholia, l’un de ses plus beaux films, l’autre seul petit chef d’oeuvre d’une sélection officielle pourtant de qualité, qui laisse une trace tenace dans les mémoires, le pendant sombre et négatif de Tree of life, son cousin maudit, son yang, là où Malick célèbre la vie et tutoie Dieu, LVT lui joue la carte du nihilisme face au cosmos.

On peut se demander dans quelle mesure le dérapage de LVT ne lui a pas fermé les portes du podium malgré une impartialité affichée du jury mené par Robert de Niro. C’eut été une belle première de voir la récompense suprême décernée à un auteur interdit de séjour et cela n’aurait pas changé grand chose, puisque tout  comme  Malick, LVT n’aurait pas monté les Marches pour recevoir la Palme, les organisateurs l’ayant déclaré persona non grata. C’eut pu être une belle première qu’un lauréat refuse même de venir chercher la Palme. LVT en est capable, il n’en est plus à un suicide médiatique près… Dans quelle mesure, se demande-t-on, le Prix d’interprétation féminine, décerné à Kirsten Dunst, ne constitue-t-il pas un prix de complaisance, de consolation, et bien pratique puisque récompenser la prestation de la comédienne, c’est récompenser par procuration Melancholia sans avoir  à décerner un prix à son trublion de réalisateur ? Astucieux ! Nonobstant, Dunst mérite amplement son prix, elle livre l’une de ses  plus  belles  performances  à l’écran, tout en finesse, en retenue, en nuances, et prouve par-là ô combien LVT  excelle  dans  la  direction d’acteurs et  sait  tirer  le  meilleur de  ses  castings  en  leur demandant d’aller puiser au plus profond de leurs tripes.

Si la concurrence face  à Kirsten Dunst se réduisait à l’excellente (comme toujours, a-t-on envie de  préciser) performance de Tilda Swinton, pour le Prix d’interprétation masculine, plusieurs noms brûlaient les lèvres des parieurs : Michel Piccoli en pape en pleine crise de foi, Brad Pitt en père fouettard, Sean Penn en Robert Smith névrosé, Ryan Gosling en machine à broyer des crânes, pied au plancher… Mais un outsider a su séduire le  jury, essentiellement composé d’anglo-saxons qui auront certainement apprécié (à sa juste valeur) le  plus actor-studio des comédiens français,  Jean  Dujardin.

Consensuel,  le  palmarès ? Pas  vraiment. Si  la  Palme d’Or  ne  surprend  guère (même  si nous  maintenons  notre  avis  au sujet  du  chef  d’oeuvre  raté de  Malick), de  grands  favoris dont  la  rumeur promenait les  noms le  long de  la  Croisette repartent  finalement  bredouilles : Kaurismaki, Almodovar, Cavalier, Moretti. Quatre réalisateurs ayant  su renouveler leur  propre  cinéma et  surprendre avec  des  films  unanimement salués par la critique et  le  public  dans  leur ensemble. La surprise  viendra  finalement des  outsiders : Nicolas Winding Refn et  son  hommage  aux  séries  B des  années 80, Drive, kitsch au possible et  ultra-violent, remporte le  Prix de  la  Mise  en Scène, tandis que  le  polar  à la  turque de  Nuri Bilge Ceylan, nimbé  d’une  atmosphère  languide et  fantastique, qui aura  épuisé plus d’un festivalier avec ses  2h45 de road-trip dans la nuit noire de l’Anatolie, et fait  rire  plus d’un critique crétin avec son “casting  à moustaches”, rafle le Grand Prix, qu’il partage curieusement avec  les  frères  Dardenne.

Plus contestable, le  Prix du scénario pour  Footnote,  un film dont on se demande encore pourquoi il figurait en compétition officielle quand dans la  section  Un Certain Regard on  pouvait avoir un Gus Van Sant d’excellent  aloi ou  un Zviagintsev des plus subtiles. Finalement, le  jury du Grand  Bob récompense un cinéma exigeant mais  également un cinéma  populaire qui ouvre le Festival de  Cannes au grand  public. Nul doute que The  Artist trouvera les  chemins  du  box-office, tout comme  Polisse de  Maïwenn (Prix du Jury) tiendra certainement la  distance en  salle,  contrairement  à  sa  réalisatrice,  Palme d’Or de  l’essoufflement, après avoir  parcouru  10 mètres  pour  monter sur  scène et prononcer un haletant discours, entre deux soupirs d’émotion.

Les  mauvaises  langues incapables de comprendre les  vrais  enjeux du  cinéma en  tant que  passerelle vers  d’autres  mondes pestaient  contre  la  Palme  d’Or  décernée  à Apichatpong Weerasethakul, à l’issue de  la  précédente  édition. Que diront-ils de  celle-ci, dont  l’histoire retiendra  surtout  deux absences : celle de deux génies de l’image. Absents des  Marches, l’un par  choix, l’autre par excès d’humour noir. Mais incroyablement présents sur les  écrans, sur les rétines, dans les  mémoires, voire  les  chairs.

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Moland Fengkov

Moland Fengkov

Moland est le représentant officiel de Plume Noire au festival de Cannes. Outre sa passion du cinéma, il est photographe professionel et journaliste freelance.
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