Depuis le Ruban blanc et sa Palme d’or plus que méritée, Michael Haneke semble apaisé. Toutes proportions gardées. Exit les provocations un tantinet gratuites.
Si une profonde tristesse habite Amour, s’est dégagée de cette envie du réalisateur, parfois exaspérante, de prendre le spectateur en otage de ses dispositifs filmiques. Ici, le cinéaste autrichien exprime une certaine tendresse pour ses personnages, que sa caméra accompagne dans l’intimité de l’agonie, de la mort et de l’abnégation. Le tout pour livrer une ode à l’amour avec un grand A que seule la mauvaise foi des esprits chagrins pourraient dénier. Cet amour, c’est celui que porte un vieil homme pour sa femme à l’article de la mort. Plus difficile à manifester que celui des jours heureux, ce renoncement à sa propre vie pour se consacrer à ce qu’il reste de celle de l’autre, relève de la bravoure. En acceptant de tenir sa promesse de ne pas l’envoyer exhaler son ultime souffle dans un hôpital, l’époux accepte de traverser l’épreuve dans le huis clos de leur appartement, unique décor du film. Il prend en charge sa part de souffrance, face à la régression que subit sa femme. Paralysée, incontinente, délirante, celle-ci le pousse dans ses derniers retranchements, repousse les limites de son dévouement, jusqu’à l’ultime geste d’amour, brutal et tendre à la fois. Cette souffrance qui nimbe le moindre geste, tant de l’un que de l’autre, s’accompagne toujours de sentiments que seules des années de complicité ont pu renforcer. Il faut alors saluer le génie de l’interprétation du duo Trintignant/Riva, jamais dans le pathos racoleur, tout en justesse et en finesse, frappant le cœur du spectateur là où ça fait mal sans complaisance et rendant ainsi au propos du film son universalité.
Lors de la conférence de presse du film, lorsqu’il fut présenté en compétition de la 65e édition du Festival de Cannes, Emmanuelle Riva contrastait avec son personnage. Pimpante, guillerette, légère, quand à l’écran c’est un corps et une âme en déliquescence qu’elle montrait sans jouer la carte démonstrative de la performance. Une anti Marion Cotillard, dont le jeu dans De Rouille et d’os (critique de Rouille et d’Os) de Jacques Audiard courait explicitement après le prix d’interprétation. A contrario, Jean-Louis Trintignant accusait le poids de la fatigue quand dans le film il devait vivre pour deux pour mieux aplanir le chemin du dernier voyage de sa femme.
Sobre, épuré d’artifices et homogène dans son rythme (celui de l’agonie), Amour ne se veut pas être un documentaire sur la mort des personnages âgées, invisible, discrète, parfois gênante pour les proches car difficile à encaisser. Comme son titre l’annonce de façon la plus claire et la plus humble, il n’est ici question que d’amour. Jusqu’à ce que la mort nous sépare ? Bien au-delà. Dans un épilogue fantastique, le fantôme de l’épouse rend visite au veuf et l’invite, comme autrefois, lorsque leur quotidien de retraités était rythmé de sorties culturelles et de balades, à l’accompagner à son tour. Comme un remerciement, pour avoir su subir l’épreuve avec elle.
Lors des différentes visites de la fille du couple, campée par une Isabelle Huppert tout en sobriété rafraîchissante, celle-ci avoue à son père : « Enfant, j’aimais bien vous écouter faire l’amour. Cela me rassurait. » A la vision du dernier film d’Haneke, on est rassuré : son cinéma peut se gorger de sentiments profonds et rassurants sans en déborder. Ça fait mal et du bien à la fois.
Réalisateur: Michael Haneke – Acteurs: Jean-Louis Trintignant, Emmanuelle Riva – Durée: 2:05- Année: 2012 – Pays: France
Moland Fengkov
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