J’ai un projet : devenir fou. On sort de Holy motors groggy, comme après avoir fait plusieurs rêves somnambuliques. Il faut digérer cette célébration du cinéma avec une majuscule, se laisser imprégner de ce voyage entrepris avec mélancolie mais aussi avec un je-m’en-foutisme d’une réjouissante liberté pour se rendre à l’évidence : déroutant, agaçant, ennuyeux, triste, drôle, beau et laid à la fois, virtuose et bancal, le film nous transporte d’une émotion à l’autre et souffre aisément tous les qualificatifs à son égard.
Holy Motors, c’est une célébration de la beauté du geste, de l’action, du corps, du jeu. Ce corps, c’est celui de Monsieur Oscar, campé par un Denis Lavant protéiforme qui porte le film sur ses solides épaules. Beauté du geste, avec tout le dérisoire que cela suppose, puisque l’acteur travaille sans caméra.
Après un prologue mettant en scène Leos Carax lui-même, s’éveillant dans une chambre d’hôtel dont une porte dérobée donne sur la salle de projection d’un cinéma, sorte d’évocation du film rêvé par le réalisateur, on suit cet acteur à gages (on ne saura jamais qui se cache derrière tous les rôles que M. Oscar endosse) le temps d’une nuit.
Transporté d’un rôle à l’autre (des « rendez-vous »), à l’arrière d’une limousine, il s’acquitte de ses interprétations avec la mélancolie qui convient aux uns, la violence qui sied aux autres, ou encore le tragique, le lyrisme, l’absurde qui définissent autant de genres cinématographiques. En neuf tableaux, séparés d’impromptus (parce que le jeu s’ouvre au hasard, à la fulgurance du geste et de la rencontre), le film revisite les genres du cinéma universel et l’œuvre elle-même de Carax.
Du trader à la mendiante, en passant par le tueur à gages. Denis Lavant endosse toutes les peaux, effectue de grands écarts. En une séance de maquillage à l’ancienne dans la limousine en guise de loge, le comédien disparaît bientôt dans une combinaison tapissée de capteurs pour devenir un ouvrier de la motion capture pour n’être plus que fluidité du mouvement. Corps désincarné mais charnel, quand il s’accouple à une contorsionniste : la séquence fulgure par sa beauté. Identités échangées lors d’un meurtre perpétré dans un entrepôt souterrain, l’acteur se perd dans ses rôles. Pour mieux s’y plonger ? Sans caméra, mais Oscar poursuit son œuvre : « pour la beauté du geste, de l’œil de celui qui regarde. »
Lors de l’un de ses rendez-vous, Monsieur Oscar campe un père de famille ordinaire venu chercher sa fille timide à l’issue de sa première surprise-party, ratée. Il lui déclare : « Ta punition, c’est d’être toi et de vivre avec ça. » Vivre avec ça : Carax laisse le spectateur avec les mystères de son film somme, avec le silence des moteurs, ces mots qui évoquent les tournages, des mots vidés de leur sens à l’ère du numérique. Mais surtout, il nous laisse avec des images qui se mêlent et se télescopent dans une farandole enivrante. Si parler de chef d’œuvre relève de la grossièreté, Holy Motors restera comme un ovni qui porte en lui l’espoir de voir ce que le cinéma peut encore offrir de plus beau et de plus intelligent.
Réalisateur: Leos Carax – Acteurs: Denis Lavant, Eva Mendes – Durée: 2:05 – Année: 2012 – Pays: France
Moland Fengkov
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