Le Havre

Après avoir dessiné de film en film la topographie intime d’Helsinki, Kaurismaki arpente aujourd’hui Le Havre. De la ville portuaire française, il saisit l’essence, loin de la vision touristique que n’importe quel autre réalisateur étranger pourrait en avoir. Exit le huppé Saint Adresse, absent Le Volcan, les quais qu’Hemingway a rendu célèbres se résument ici à un empilement de containers. Kaurismaki pratique l’art de la métonymie, réduisant, comme on le sait, son expression cinématographique à sa forme minimaliste. Ainsi, ses containers recèlent toute l’intrigue d’un film plus politique que jamais. Des émigrés congolais sont retrouvés enfermés dans un caisson à quai, alors qu’ils pensaient débarquer à Londres. Mais une ” erreur de Paris “, selon les dires d’un douanier désabusé, les a déroutés. Idrissa, un adolescent débrouillard, décide alors de tenter sa chance. Il prend la fuite et est bientôt recherché par toutes les polices locales, dont un inspecteur opiniâtre (Jean-Pierre Darroussin) bien décidé à l’arrêter. Un cireur de chaussures (interprété par l’excellent André Wilms), fauché et accorte, le prend alors sous sa protection.

Dans une ville du Havre déréalisée, Kaurismaki engouffre les questionnements liés à Sangatte. Réalisateur en exil, il se penche avec d’autant plus d’acuité sur la situation des clandestins. Il le fait à sa manière drôle, généreuse et touchante. Une chaîne de solidarité se crée bientôt autour d’Idrissa pour qu’il puisse rejoindre sa mère à Londres. Comme toujours, elle est le fait de petites gens qu’affectionne le réalisateur. Un concert de soutien pour récolter des fonds s’organise avec la gloire du rock locale Little Bob (que Kaurismaki filme et voit comme Elvis). Sa prestation scénique évoque, par ailleurs, le souvenir des pathétiques mais attachants Leningrad Cowboys. Bientôt, cette générosité devient contagieuse, au point d’être à l’origine d’une guérison miraculeuse et de permettre à l’inspecteur d’exprimer une humanité inattendue.

En plus du bonheur de retrouver l’actrice fétiche de Kaurismaki, Kati Outinen (toujours aussi parfaite, y compris en langue française), Le Havre permet de renouer avec l’humour pince sans rire de Kaurismaki et son sens des dialogues inégalé. Avec sa palette froide, la ville normande entretient avec Helsinki nombre de correspondances secrètes. A cette réserve que par la magie de son geste, elle devient une ville enchantée, par opposition à Helsinki, capitale désolée.

Cerise sur le gâteau d’un film plaisant mais (reconnaissons-le) mineur dans sa filmographie, les apparitions de Pierre Etaix et de Jean-Pierre Léaud, repères cinéphiliques évidents pour le cinéaste qui livre, sans nostalgie, ni amertume, la vision idéalisée d’une France qui n’existe dorénavant plus.

Réalisateur: Aki Kaurismäki – Acteurs: Jean-Pierre Léaud, Kati Outinen – Durée:: 1:43 – Année: 2011 – Pays: Finlande, France

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Sandrine Marques

Sandrine Marques

Sandrine vit à Paris, est journaliste freelance et écrit passionnément sur le cinéma.
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