Depuis son premier long métrage, Hard Eight, le scénariste et réalisateur Paul Thomas Anderson a construit une filmographie solide qui a culminé avec l’épique There Will Be Blood. Mr. Anderson a, au fil des années, développé son propre style, que ce soit narrativement ou thématiquement, avec un goût prononcé pour les personnages charismatiques mais blessés, souvent utilisés comme pretexte pour nous faire découvrir des univers ou époques particuliers.
Avec The Master, le cinéaste s’attaque cette fois à la relation entre Lancaster Dodd (Philip Seymour Hoffman dans un rôle basé sur le fondateur de la Scientologie Ron Hubbard) et un de ses disciples, Freddie Quell (Joaquin Phoenix). Dès le début, Freddie est dépeint comme une âme perdue, approchant la vie comme si c’ était une grande fête. Il est comme un enfant, sans limites et dépourvu d’aspirations, jusqu’à ce qu’il rencontre Lancaster qui le prend sous son aile.
La relation liant les deux hommes peut sembler étrange au premier abord car ils n’ont rien en commun, hormis pour un goût risqué pour l’alcool frelaté de Freddie. S’il est clair que Lancaster l’utilise comme cobaye, voulant tester ses théories tout en essayant de le guérir, leur relation va bien au-delà de ça; et, en déplaise à certains, cette amitié n’a rien d’illogique.
Freddie est en quelque sorte un chien errant se faisant lentement amouder et adopter par un maître. Il est sauvage, imprévisible, dangereux, mais aussi extrêmement fidèle, comme la scène où il défend Lancaster contre les policiers en témoigne. Il incarne aussi une liberté que Lancaster ne peut se permettre, prisonnier du personnage qu’il a créé. Et quand Freddie revient, tel un fils prodigue, il devient clair qu’un amour existe entre les deux hommes. Qu’il s’agisse d’un sentiment filial ou homosexuel, rien n’est sûr, mais ils semblent être deux moitiés opposées mais indissociables, alter-egos complémentaires.
Si l’étude psychologique est le centre vital de ce film, elle permet aussi d’aborder un autre theme plus controversé et important qui est, bien sûr, celui des religions ou cultes et plus particulièrement de la Scientologie. Basé sur Ron Hubbard, Lancaster se présente à la fois à Freddie et aux spectateurs comme un – auto-proclamé – écrivain, journaliste, chercheur, etc … ce qui pour la plupart passerait assez suspect. Doté d’un grand charisme et d’une présence hors-normes, il est entouré de disciples qui semblent avaler aveuglément toutes ses théories philosophiques et scientifiques. Bien que le cinéaste ne cherche jamais à découvrir la vérité, il offre cependant quelques indices subtiles tout au long du film : chaque fois que ses théories sont remises en cause, que ce soit par un détracteur ou un de ses disciples, son attitude tourne rapidement à la colère, plutôt que d’offrir des réponses constructives. A un autre moment, son fils reconnaît qu’il crée tout à mesure, ce qui nous amène à une question bien plus importante, à savoir si il est victime de ses propres illusions ou tout simplement un charlatan. Le film n’apportera pas de réponse définitive, laissant le soin aux spectateurs de faire leurs propres déductions (si Lancaster semble réellement vouloir aider son prochain, il a toute fois bel et bien les airs d’un charlatan).
Bien que les films dits psychologiques souffrent généralement d’une production plutôt modeste, The Master bénéficie d’une photographie magnifique, d’une réalisation précise, d’une bande originale solide signée Jonny Greenwood (Radiohead) et bien sûr de l’interprétation envoûtante et vicieuse de Joaquin Phoenix (qui devrait remettre en place une fois pour toutes ceux qui n’avaient pas apprécié son travail d’équilibriste dans I’m Still Here).
Quant à savoir si The Master mérite tous ces éloges – des dizaines de journalistes sans talent ayant tenter de se surpasser à grand renfort de superlatifs – il y a une difference entre un bon film et un grand film et cette nouvelle oeuvre reste toutefois dans l’ombre de l’intense There Will Be Blood. Si contrairement à d’autres critiques, je ne trouve pas dérangeant le fait que que ce film n’offre aucune réelle conclusion, que ce soit au niveau de la trame ou pour ses personnages, son côté glamoureux Hollywoodien ne parvient toutefois pas à le faire se démarquer d’autres films plus modestes mais aussi méritants.
Réalisateur: Paul Thomas Anderson – Acteurs: Joaquin Phoenix, Philip Seymour Hoffman – Durée: 2:17 – Année: 2012 – Pays: USA
Fred Thom
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