Un grand dramaturge convoque après sa mort tous ses fidèles comédiens pour les inviter à visionner des rushes d’une captation théâtrale réalisée par une jeune troupe. Devant les images de cette nouvelle mise en scène d’Eurydice de Jean Anouilh, les acteurs se souviennent de leur propre interprétation de la pièce. Plusieurs d’entre-eux ont interprété le même personnage, à des époques différentes de leur carrière, sous la houlette du dramaturge disparu. Ils commencent à chuchoter les répliques, avant de jouer pour de bon, retrouvant leur personnage. L’occasion pour Alain Resnais de visiter toute son œuvre dans un joyeux laboratoire expérimental.
Vous n’avez encore rien vu s’ouvre sur un curieux générique. A tour de rôle, chaque acteur de sa distribution, dans son propre rôle, reçoit un coup de fil lui annonçant la mort du metteur en scène célèbre : « Allô, Pierre Arditi ? Je vous appelle pour vous faire part d’une sombre nouvelle : votre ami Antoine d’Anthac vient de mourir… » Durant quelques minutes, les acteurs défilent à l’écran, selon le même dispositif : ils répondent au téléphone, reçoivent la triste nouvelle. Lambert Wilson, Anne Consigny, Sabine Azéma… Ce dispositif n’est que le premier d’une longue liste qu’Alain Resnais met en place tout au long du film pour tenter de célébrer à la fois le théâtre et le cinéma.
Car son film présente un enjeu à Resnais, metteur en scène : comment représenter à l’écran des comédiens à nouveau pris par la fièvre du jeu ? Comment filmer le théâtre ? Lorsque les personnages qu’ils ont un jour ou à plusieurs reprises interprétés les habitent à nouveau, les possèdent même, par quels artifices Resnais peut-il filmer le récit de l’œuvre d’Anouilh sans réduire son propre film à une simple captation ? A ces questions, il apporte des réponses ludiques, en exploitant moult astuces de mise en scène. Effets de montage qui permet à plusieurs interprètes d’un même rôle de se passer le relai au milieu d’une même réplique, split-screen, utilisation exagérée de la profondeur de champ… Autant d’outils du cinéma au service du théâtre. Mais au-delà, c’est bel et bien une véritable déclaration d’amour pour ses acteurs, et à travers eux, pour la beauté et le plaisir du jeu d’acteur que Vous n’avez encore rien vu met en images.
Sauf que voilà : si la performance de toute la troupe crève l’écran, si les comédiens parviennent sans mal à communiquer au spectateur leur plaisir du jeu, chacun apportant sa touche personnelle à son personnage, joué par plusieurs d’entre-eux, avec aisance et justesse, Resnais semble en revanche ne pas trop savoir quoi faire des possibilités infinies que lui offre le cinéma. Ses choix de mises en scène en deviennent interchangeables, voire gratuits, et donnent l’impression d’observer un jeune enfant découvrant un nouveau jouet aux multiples gadgets et partant, voulant les utiliser tous. En déconstruisant son film, pas toujours de façon convaincante, il offre la part belle aux comédiens, au détriment de sa mise en scène, sans doute un peu trop fourre-tout pour s’avérer en tous points pertinente.
Réalisateur: Alain Resnais– Acteurs: Pierre Arditi, Mathieu Amalric, Sabine Azéma – Durée: 1:55 – Année: 2012 – Pays: France
Moland Fengkov
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