A propos du palmarès du festival de Cannes 2008

 

Comme quoi, « buzz means nothing ». Le président du jury, Sean Penn, coupe court à toute polémique, lorsqu’on lui demande à la conférence de presse pourquoi Valse avec Bachir ne figure pas au palmarès, là où d’aucuns le plaçaient favori. « Nous n’avons subi aucune influence et c’est à l’unanimité que nous avons plébiscité ce film sans couture où tout était magique. » Amazing, donc. Derrière ce qualificatif moult fois répété se rangent les membres du jury, Marjane Satrapi, Jeanne Balibar (« aucune contradiction n’a été mise de côté dans ce film »), Sergio Castellitto, Alfonso Cuaron. Le réalisateur Apichatpong Weerasetakhul affirme même ne pas avoir souffert de problème de traduction (démontant l’argument selon lequel le film serait limité par sa culture franco-française), qu’il a appréhendé Entre les murs avant tout comme un objet d’art qui traite de thèmes universels, une remarque qui ravira François Bégaudeau, fervent admirateur du Thaïlandais, croisé la veille à la fête du film. L’adaptation de son roman par Laurent Cantet remporte donc la Palme d’or, 21 ans après Maurice Pialat et Sous le soleil de Satan. Un film qui a le mérite de mettre tout le monde d’accord. Il y aura bien des esprits chagrins qui se penseront plus malins et estimeront de bon ton de cracher leur bile dessus et de s’élever contre lui, pour mieux se faire remarquer dans l’océan des thuriféraires. Mais force est de constater que la Palme de cette 61e édition rassemble le public et la critique (moins les mauvais esprits, bien sûr). Quoi qu’il en soit, la mini conférence de presse donnée par les lauréats débordait d’énergie. Cette même énergie revigorante que toute la troupe de gamins déploie à l’écran. « Comment allez-vous fêter cette Palme d’or », s’enquiert un journaliste. « Eh bien, un car est censé nous ramener à Paris à 23h », répond Cantet. « Nous allons négocier. » Dans la clameur de protestation joyeuse des jeunes réunis derrière lui, Bégaudeau ajoute : « nous allons réviser la grammaire entre onze et douze, puis relire du Flaubert. »

Engagement politique au plus près des problèmes de société. Le palmarès délivré par le jury de l’édition 2008 du Festival de Cannes surprend à bien des égards. Il Divo (prix du jury), Le silence de Lorna (scénario ? Il y avait plus inventif, non ?), Gomorra (Grand prix), autant de films (dont deux, complémentaires selon Castellitto, « qui montrent ce qui peut se cacher derrière une démocratie occidentale et qui célèbrent le retour du cinéma italien ») qui rendent compte chacun à leur manière de l’état du monde. Si le prix d’interprétation féminine (Sandra Corveloni, absente pour cause de drame personnel : la dame vient de perdre son enfant, ce que le jury ne savait pas, assurent les coréalisateurs Walter Salles et Daniela Thomas) prend tout le monde de court, au regard des incroyables performances de Martina Gussman (Leonera) et d’Arta Dobroshi (Le silence de Lorna), on s’étonne guère de voir Benicio Del Toro couronné, un tantinet blasé. A une journaliste japonaise arborant un T-shirt du Che lui demandant comment il se sentait en cette 80e année d’anniversaire du héros, il répond : « I love the shirt, I love the shirt… I feel like… happy birthday… I love the shirt… »


Caméra d’or logique pour Hunger de Steve McQueen, impressionnant travail sur le corps, servi par des acteurs complètement investis et ce long plan séquence de 20 minutes. Quant au prix de la mise en scène décerné au Turc Nuri Bilge Ceylan, qu’on avait découvert avec enthousiasme avec Uzak, il prouve l’attention portée par le jury à un véritable travail formel, pour un film desservi par certaines faiblesses de scénario, comme l’apparition superflue d’un fantôme. On passera sur les prix honorifiques spécialement créés pour récompenser les carrières respectives de Catherine Deneuve (rien pour le Desplechin dans lequel elle joue) et de Clint Eastwood (dont L’Echange repart bredouille, malgré une excellente interprétation d’Angelina Jolie, une photographie très travaillée et un savant mélange de différents genres, du film de procès au thriller, en passant par le drame intimiste) pour se réjouir de constater que le jury ne s’est pas laissé berner par les horreurs et inutiles daubes que sont, dans l’ordre décroissant, La frontière de l’aube (Louis Garrel), La femme sans tête (Lucrecia Martel), Serbis (Brillante Mendoza) et My magic (Eric Khoo). Un réel regret pour le James Gray (Two lovers) et le documentaire d’animation d’Ari Folman (Valse avec Bachir), deux films qui se démarquent d’une sélection en demi-teinte quoique de bonne facture. Globalement, le 61e Festival de Cannes aura tenu ses promesses, alimenté les débats, les discussions et confirmé la richesse du cinéma que tous qualifiaient, Jean Réno en tête lors de la cérémonie de clôture, d’international.

 

 

 

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Moland Fengkov

Moland Fengkov

Moland est le représentant officiel de Plume Noire au festival de Cannes. Outre sa passion du cinéma, il est photographe professionel et journaliste freelance.
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