Au-delà des collines

On l’attendait au tournant, on le retrouve au couvent. Après 4 mois, 3 semaines et 2 jours, auréolé d’une Palme d’or au Festival de Cannes, Cristian Mungiu revient avec une histoire tout aussi forte que celle d’un avortement clandestin, dont le seul point commun avec son prédécesseur tient dans la présence de deux jeunes amies et d’une figure masculine de l’autorité. Pour le reste, changement de décor, puisqu’on quitte les rues de la ville : Au-delà des collines emporte le spectateur au sein d’une communauté religieuse perdue dans la campagne roumaine dont le quotidien se trouve bouleversé par un élément extérieur : Alina, l’amie d’enfance de Voichita, l’une des sœurs, revenue d’Allemagne et encore amoureuse de celle qui a depuis embrassé la religion.

Inspiré de faits réels, le film s’emploie à décrire avec autant d’attention les tâches du quotidien (prières, préparations des repas, puisement de l’eau du puits) que les événements qui dérèglent petit à petit le rythme pieux et languide de la communauté : les explosions de violence de cette étrangère et l’épreuve que les religieux lui font subir. Ce qui donne à l’écran une alternance de plans fixes de toute beauté avec pour toile de fond l’hiver enneigé de la campagne roumaine et la pénombre des intérieurs, et de plans séquences énervés, le tout servi par la photographie d’Oleg Mutu, déjà au service de My Joy, le chef d’œuvre de l’Ukrainien Sergueï Loznitsa.

Mais Mungiu ne prend pas son temps uniquement pour servir du formalisme vain. Si son film s’étire ainsi, c’est pour mieux distiller la tension sourde qui l’habite de bout en bout. Au fur et à mesure que le pope enchaîne les séances d’exorcisme censées chasser le malin qui contrôle l’âme perdue d’Alina, le film menace de sombrer dans l’horreur à la lisière du fantastique. On sait que tout ceci ne peut que mal finir, que le drame plane comme une épée de Damoclès, qu’il éclatera, mais pas un instant on peut s’attendre à la forme qu’il prendra. Si le film tend vers l’inéluctable, puisque chaque personnage se retrouve devant des choix les menant dans des impasses (le pope ne veut pas garder une fille rejetant Dieu, mais ne peut non plus se résoudre à la jeter à la rue, sachant qu’elle ne bénéficie d’aucun soutien et n’a nulle part  où aller ; Voichita ne veut pas abandonner son amie ni sa foi), il questionne cependant les conséquences de l’application à la lettre des préceptes de la religion, au point d’en oublier tout discernement. « La plupart des plus grandes erreurs de ce monde furent commises au nom de la foi et avec la conviction qu’elles servaient une bonne cause. » explique le réalisateur. Ici, pas de manichéisme, même si la foi en prend pour son grade. Mais Mungiu se garde de condamner, laissant ce rôle aux instances compétentes, à l’instar des policiers venus interroger les religieux, et spécifiant que leur tâche s’arrête là, passant le relai au procureur. Il pose sur ses personnages un regard empli d’une certaine tendresse et le spectateur partage alors leurs souffrances intérieures. Magie du montage, ces lueurs furtives de détresse dans les yeux de Voichita (Cosmin aà la fin d’un plan où elle assiste, impuissante, au calvaire de son amie). La force du film tient dans cette chorégraphie des émotions qui prend son temps pour se déployer à l’intérieur d’un même plan. Au-delà des collines ou « l’Exorciste » à la roumaine : une absence d’effets au bénéfice d’une tension sourde qui font de ce film un chef d’œuvre bouleversant.

Réalisateur: Cristian Mungiu – Acteurs: Cristina Flutur, Catalina Harabagiu – Durée: 2:35 – Année: 2012 – Pays: Roumanie

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Moland Fengkov

Moland Fengkov

Moland est le représentant officiel de Plume Noire au festival de Cannes. Outre sa passion du cinéma, il est photographe professionel et journaliste freelance.
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