Borgman

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Et ils descendirent sur Terre pour renforcer leurs rangs.  Cette citation en exergue du générique de Borgman, dont la source reste inconnue (le réalisateur s’en avère l’auteur) sert de piste de compréhension au film. Un indice pour ses multiples lectures possibles. Borgman, c’est un conte cruel où l’étrange et l’inquiétant se disputent l’écran, mais sans omettre une bonne dose d’humour noir, comme sait le manier Alex Van Warmerdam, réalisateur notamment du petit bijou qu’était Les Habitants.

Ici, le cinéaste batave s’attaque à la notion de bonheur, ou pour être plus juste, de confort : celui dont jouit un certain pan de la société, aux dépens des autres. Trop d’opulence matérielle, voilà qui  mérite une punition. C’est ainsi que Borgman, sorte de clochard vivant sous terre, s’incruste dans la demeure très design d’une famille bourgeoise, sous les traits d’un jardinier venu donner une seconde jeunesse au gazon, qu’il retourne avec deux compères à grands coups de pelleteuse de chantier. Mais ce n’est là qu’une partie de la révolution que va connaître la famille.

Il ne faut pas s’attendre à trouver des réponses aux multiples questions que soulève l’intrigue du film, mais au contraire, se laisser aller aux interprétations que les béances invitent le spectateur à explorer. Dans la scène d’ouverture, trois hommes en armes, dont un prêtre, se lancent en chasse pour débusquer Borgman, être hirsute et barbu comme un sans-abris, vivant littéralement sous terre. Dans sa fuite, celui-ci dévoile plusieurs faces de son visage. Peu loquace, il se montre séducteur (une fois rasé de près, il devient en apparence un tout autre homme), menaçant, terrifiant. Démon ? Ange de l’Apocalypse venu avec son équipe punir les péchés de l’Homme, ou étrange criminel aux mystérieux  pouvoirs, dont  celui d’ubiquité, venu dynamiter la bourgeoisie ? A chacun de se forger son opinion. On pourrait penser au Funny games de Michael Haneke, mais les motivations et les méthodes opératoires de Borgman diffèrent de celles des deux ados du film autrichien venus massacrer une famille par jeu, méthodiquement.  Borgman s’immisce dans les rêves de l’épouse pour lui livrer un portrait effrayant  de son mari, producteur de télévision arrogant et raciste ; il raconte aux enfants  des histoires à ne pas dormir de la nuit ; il commandite des meurtres perpétrés avec minutie.

Avec cette critique de la société de consommation, qu’il n’aborde pas frontalement mais avec les armes de la métaphore, Alex Van Warmerdam captive. Sa mise en scène, froide, tout  en plans épurés, éclairés par les ténèbres, livre des plans insolites à la poésie macabre, comme celui où les corps dont se débarrassent les acolytes de Borgman sont balancés dans l’eau, la tête à l’envers, emprisonnée dans un seau de ciment. C’est beau, c’est drôle et c’est dérangeant à la fois. Tout le film peut se résumer à ces plans. Au final, on sort de Borgman avec la sensation d’avoir fait un rêve qui emporte notre confiance et notre assurance dans une sombre forêt, à l’instar de la scène de clôture, où les survivants suivent leur bourreau pour disparaître dans l’obscurité des sous-bois.

Réalisateur: Alex Van Warmerdam – Acteurs: Jan Bijvoet, Hadewych Minis, Jeroen Perceval – Durée: 1:53 – Année: 2013 – Pays: Pays Bas

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Moland Fengkov

Moland Fengkov

Moland est le représentant officiel de Plume Noire au festival de Cannes. Outre sa passion du cinéma, il est photographe professionel et journaliste freelance.
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