A Cannes, une question revient constamment, d’une affligeante banalité au regard des traits d’esprit que d’aucuns testent à la sortie des projections avant de les livrer aux réseaux sociaux non sans un sourire auto-satisfait : quel temps fait-il ? C’est d’autant plus étonnant que la plupart des festivaliers passent leur temps à l’intérieur du Palais, dans les salles obscures. Mais il est vrai que l’humeur du critique, et a fortiori, l’accueil qu’il réservera aux films, dépend en partie de la couleur du ciel au moment où il attend dans la file au pied des marches, avant chaque projection. On se souvient du sort inique qu’a connu Like someone in love d’Abbas Kiarostami à l’issue de la projection de presse, dans une salle remplie de chiens mouillés copieusement arrosés quelques minutes avant l’ouverture des portes.
En ce 3e jour de festival, le hasard de la programmation emmène les spectateurs aux antipodes d’une météo plutôt estivale. Dès 8h30, c’est dans l’hiver canadien que nous transporte Captives d’Atom Egoyan. Un thriller psychologique glacial par ses décors enneigés comme dans son ambiance quelque peu surannée, où les enjeux dramatiques relèvent moins de la résolution de l’affaire policière (le film raconte le rapt d’une fille et l’enquête pour la retrouver qui piétinne pendant 8 ans) que de la déliquescence des liens qui unissent les protagonistes, des parents de la fille enlevée au couple d’enquêteurs, impuissants face au monstre, dont on connaît l’identité dès le 1e plan. Si Egoyan parvient à installer une ambiance angoissante, ses artifices de mise en scène et surtout de montage ne parviennent pas à masquer leur incapacité à enrichir ce qui reste une bonne idée initiale.
Après la parenthèse réchauffante de Dragon 2 (c’est devenu une tradition à Cannes de s’aérer la rétine avec un dessin animé en 3D), retour sous la neige, cette fois en Anatolie, avec 3h15 d’atmosphère tchékhovienne. Nuri Bilge Ceylan nous dépeint l’agonie d’un amour entre un riche intellectuel reclus dans un hôtel qu’il dirige loin du tumulte citadin et sa femme, plus jeune, dépendante de son patrimoine, qui tente de retrouver sa dignité et sa liberté. Beaucoup plus bavard que ses précédents films, trop peut-être, Winter sleep n’en demeure pas moins un magnifique film sur une certaine lutte de classes qui ratrappe l’amour le plus pur.
La soirée se termine avec un intrus dans la compétition officielle : Wild tales de l’Argentin Damian Szifron. Un film à sketches sans lien entre eux, si ce n’est une vague thématique générale de la lutte des classes et de la vengeance. Le tout traité sur un ton cynique, parfois à la frontière du burlesque. Si la 1e histoire surprend (des passagers d’un vol se rendent compte qu’elle connaissent tous le commandant de bord, avant que ce dernier n’envoie l’avion s’écraser), si certains rebondissements amusent (le segment le mieux réussi raconte la bataille jusqu’à la mort entre deux automobilistes sur une route déserte), l’ensemble, servi par une absence totale de mise en scène, se réduit en une suite de blagues qu’on raconterait pour amuser l’assistance au baptème du petit. A la projo presse, ça riait et le film semble avoir rempli son office involontaire : détendre les journalistes après les 3 heures qu’ils se sont farcies devant le film turc.
A Cannes, l’avis qu’on peut réserver à certains films peut parfois dépendre de celui qu’a inspiré le précédent. On se souvient par exemple de l’accueil chaleureux que l’Appolonide de Bertrand Bonello avait reçu de la part de la critique française lors de sa sélection en compétition officielle. Il est amusant de voir aujourd’hui ces mêmes critiques revoir à la baisse ledit film, isolé de ses concurrents de l’époque, réduit à sa singularité, adossé au mur de sa propre arrogance. Comme la météo méditerranéenne peut se montrer changeante et capricieuse, comme les programmes quotidiens de chaque festivalier peuvent différer à partir de ce jour, éparpillant les journalistes comme autant de mollécules au gré des impératifs ou des envies, l’avis sur un film peut passer du feu à la glace.
Photos : Rosario Dawson, à l’affiche de Captives d’Atom Egoyan. Kit Harrington, prêtant sa voix à Dragon 2. (c) Moland Fengkov.
Moland Fengkov
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