N’y allons pas par quatre chemins : Suzanne Clément mérite le prix d’interprétation féminine, pour son rôle de mère courage déjantée, souvent grossière, jamais vulgaire, toujours pleine d’indulgence pour son fils hyperactif dont les accès de violence n’ont d’égal que l’amour qu’il lui porte ; Anne Dorval mérite également le prix pour son interprétation de Kyla, la voisine bègue qui se trouve une seconde famille parmi Diane et son fils Steve : Antoine-Olivier Pilon mérite le prix d’interprétation masculine pour son incroyable travail sous les traits d’un ado débordant d’énergie, d’amour et de folie ; Xavier Dolan, le réalisateur de Mommy, mérite le prix de la mise en scène, pour ses choix esthétiques (une bonne idée à quasi chaque plan), sa maîtrise de la lumière, ses audaces formelles, sa direction d’acteur parfaite. En d’autres termes, Xavier Dolan, le petit prodige du cinéma canadien, à peine âgé de 25 ans, qui voit chacun de ses films sélectionné dans les plus grands festivals (en l’occurrence, Cannes), mais qui se laissait tout de même aller à des extravagances un peu bancales et gratuites, maladroites et arrive à maturité en tant que cinéaste, et livre, pour sa première participation (gageons qu’il y en aura d’autres) en compétition officielle, un petit bijou de cinéma. En clair, nous tenons là notre 67e Palme d’or !
Autre choc du jour, hors compétition, le documentaire de Sergueï Loznitsa sobrement intitulé Maïdan. Avant de passer à la fiction avec My Joy et Dans la brume (deux chefs d’oeuvre en compétition à Cannes), il s’était illustré dans l’univers du documentaire. C’est naturellement qu’il revient à ses premières amours lorsqu’il sent que les premiers rassemblements à Kiev vont mener à un bouleversement historique de son pays. Dès novembre 2013, donc, il pose sa caméra sur la place qui deviendra quelques semaines plus tard aussi célèbre que Tahrir. Son récit se découpe alors en longs plans fixes qui saisissent dans le cadre non pas l’individuel mais le collectif : le mouvement de masse, le soulèvement d’un peuple uni contre le pouvoir, une foule mue par un désir de changement, qui s’organise sous nos yeux, jusque dans les affrontements mortels qui vont finir par l’opposer aux forces de l’ordre, enflammant l’hiver ukrainien. En plus de deux heures, il nous plonge au coeur de la tourmente, face à face avec l’Histoire qui s’écrit au présent. Magistral.
Nous pouvons passer sur les deux pétards mouillés de la journée. Tout d’abord, le navet sur la guerre en Tchétchénie The search, de Michel Hazanavicius, où comment tenter de masquer la vacuité de sa mise en scène en désaturant les couleurs, histoire de mieux souligner que la guerre, c’est mal, mais qu’heureusement, il y a de bonnes âmes pétries de bons sentiments qui s’y débattent pour sauver les enfants orphelins. Au passage, il serait bon de placer un assistant ou un figurant à l’autre bout de la ligne pour lui donner la réplique quand Bérénice Béjo fait semblant de passer un coup de fil à l’écran. Ensuite, le non événement que constitue le retour de JLG (retour à l’écran, car Jean-Luc Godard ne pointera pas le bout de son nez sur la Croisette) qui relève davantage du cinéma expérimental pour musées d’art moderne que de cinéma tout court. Emballez-moi le salmigondis visuel (tourné avec différents appareils et autres smartphones) dans un glacis en 3D, le tout avec un concept fumeux sur les nouvelles technologies de communication et un cynisme parfois hilarant au sujet de la pensée et la merde, et vous obtenez Adieu au langage. Seule performance incroyable, cette image qui sort littéralement du cadre pour se superposer à la présente. Pour le reste, RDV au MoMa ou au Palais de Tokyo, mais pas sur la Croisette.
Photo : Xavier Dolan. (c) Moland Fengkov.
Moland Fengkov
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