Lorsqu’en conférence de presse post-palmarès, le jury refuse de dire si ses membres se sont étripés au sujet d’un ou plusieurs films, on est en droit d’extrapoler. Jia Zhangke sème des indices sur son avis concernant le Grand Prix décerné aux Merveilles, d’Alice Rohrwacher, l’un des films les plus décevants de la compétition. “J’ai bien aimé le chameau”, lance ironiquement le réalisateur chinois. Dans le film de l’Italienne, il y a une scène cocasse dans laquelle le père de famille revient avec “un cadeau” : un chameau. Qu’on reverra plus tard, toujours attaché dans la cour de la maison, sans que sa présence n’apporte quoi que ce soit au récit.
Si la Palme d’or, décernée à Nuri Bilge Ceylan pour Sommeil d’hiver (Winter sleep), est amplement méritée, la présidente du jury Jane Campion a déjoué tous les pronostics qui voyaient le jeune Xavier Dolan vainqueur de la compétition avec Mommy. Plébiscité par le public et la majorité de la critique, le film se hisser sensiblement en haut du panier. D’ailleurs, le réalisateur canadien n’a pas caché sa déception. En revanche, Ceylan, qui avait déjà participé plusieurs fois à la compétition et n’avait jamais remporté la Palme ne démérite nullement et ne vole le saint Graal à personne. Son huis-clos anatolien, dans une ambiance tchékhovienne, avait tout pour faire peur à Jane Campion. “Mon dieu ! Un film de plus de 3 heures”. La présidente du jury affirme s’être laissée emporter par cette histoire d’amour déliquescente.
La liberté. Ce sera le mot-clé que martèlent à l’envi les membres du jury. En attribuant le Prix du jury à Jean-Luc Godard et à Xavier Dolan, ils lancent un message symbolique. Deux générations de cinéastes, deux artistes qui s’affranchissent des lois et des règles du cinéma, deux noms qui marquent l’histoire du cinéma en se renouvelant constamment. Deux rebelles à leur manière. C’est sans doute là le Prix le plus politique du palmarès.
Autre curiosité de ce palmarès : le Prix du meilleur réalisateur à Bennett Miller pour Foxcatcher, un film qui ne vaut que pour la performance de son trio d’acteurs, Mark Ruffalo, Channing Tatum et Steve Carell. Tiré d’un fait divers, ce film sur l’emprise d’un milliardaire sur deux champions olympiques de lutte propose une mise en scène ennuyeuse et convenue. Lui décerner ce prix relève de l’escroquerie. Idem pour Leviathan d’Andreï Zvyaguintsev. La principale qualité de ce magnifique ne tient pas essentiellement dans son scénario, mais bien dans sa mise en scène. Le film mérite sa place au Palmarès mais pas avec ce prix.
Enfin, pour les prix d’interprétation, rien à redire. Julianne Moore, en actrice vieillissante ratrappée par la meute de la jeune génération, délivre une des meilleures performances de sa carrière dans Maps to the stars de David Cronenberg, même si Marion Cotillard irradie le film des frères Dardenne, repartis bredouilles. Et non, le jury n’a, selon Jane Campion, reçu aucune recommandation de la part de l’organisation du festival, concernant l’attribution des prix. Liberté, donc ? Timothy Spall, lui, remporte logiquement la timballe grâce à son interprétation du peintre William Turner dans le biopic de Mike Leigh. Lors de la cérémonie de clôture, il aura signé le discours de remerciements le plus long du festival. On le comprend, le temps file, et il est des moments dans une vie qu’on a envie de faire prolonger.
Les grands absents du palmarès sont donc les Dardenne, Naomi Kawase, que d’aucuns voyaient en bonne position, Abderrahmane Sissako qui semblait avoir séduit une bonne partie des festivaliers. En demi-teinte, tout comme sa sélection, le palmarès de Jane Campion et de ses acolytes surprend, déçoit, mais reste fidèle à ce que l’on pouvait attendre de la présidente du jury : pas grand chose. Pas beaucoup d’audace, en tout cas.
Photos : Nuri Bilge Ceylan et Xavier Dolan. (c) Moland Fengkov.
Moland Fengkov
Latest posts by Moland Fengkov (see all)
- Loving - February 15, 2017
- American honey - February 8, 2017
- The Last Face - January 11, 2017
Facebook
Twitter
Google +
Youtube
Commentaires