Cannes 2015, 8e jour (ou 9e, on ne sait plus !) : Sexe en 3D

cannes2015J09 (27 of 39)Gaspar Noé fait bander la Croisette. Ou pas… Après une très longue ovation de Mountains may depart de Jia Zhangke, dont toute l’équipe est sortie en larmes, et avant d’appeler dans le grand théâtre Lumière l’équipe de Love, projeté à minuit (+45 minutes de retard), Thierry Frémaux, juché sur la scène, rappelle que le film est interdit aux moins de 18 ans (nous certifions avoir croisé dans la file d’attente des mineurs qui risquent, de fait, de se souvenir de cette expérience cannoise) et précise : “Vous ne connaissez pas encore les acteurs du film, mais dans deux heures, je vous assure que vous les connaîtrez beaucoup mieux”. Rires dans la salle. Après son trio d’acteurs, le réalisateur fait son entrée, des lunettes 3D sur le nez. Eh oui, on aura donc droit à une éjaculation en 3D, en vue aérienne ou encore un coït in vivo (le même plan que celui d’Enter the void) même si cette facétie technologique n’apporte absolument rien au film.

D’emblée, le film annonce la couleur, après un carton nous rappelant de chausser lesdites lunettes. Un couple s’ébat, tous sexes (et poils  pubiens très 70’s) sortis. S’ensuivent deux heures et 15 minutes de scènes de sexe explicites, dans diverses positions, divers endroits, entre divers partenaires, servies par une belle lumière et une musique branchouille, entre Led Zep et Death in Vegas. Entre chaque scène de cul (parfois, plusieurs d’entre elles s’enchaînent), une vague histoire d’amour. Avec quand même des références à Kubrick (Murphy, jeune étudiant en cinéma goûtant aux plaisirs charnels de Paris porte 2001 comme son film préféré et Gaspar Noé insère des plans rappelant l’oeil de HAL) histoire de… Nous ne nous attarderons pas ici sur une critique en règle du film, résumant notre propos en un mot :  rock’n’roll. Soit, une liberté de forme, une belle mise en scène, pour un propos somme toute assez creux, même si une touche d’humour (le bébé du couple s’appellera Gaspar, et le propriétaire d’une galerie d’art, campé par le réal lui-même, coiffé d’une moumoute, se nomme Noé) nous rappelle à la légèreté de l’intention. Mais nous répondrons à la question qui brûle les lèvres de ceux qui n’ont pu accéder à la séance archi pleine au vu de l’heure tardive (lu sur les réseaux sociaux : “moi je suis arrivé à la bourre comme un bleu pour Noé. Fait chier, je suis de la baise, si je puis dire”) : Love est-il un pur et vulgaire produit porno sous couvert d’auteurisme pédant ou propose-t-il du cinéma décomplexé et libre dans sa forme ?

Les amateurs de l’oeuvre de Gaspar Noé se sentiront en terrain connu. Le réalisateur fait souvent précéder ses films de rumeurs sulfureuses et aime provoquer le spectateur dans ses derniers retranchements : la logorrhée du personnage plein de frustration et de haine de Seul contre tous (Noé s’amusait à compter le nombre de personnes quittant la salle lors de sa première projection), les deux scènes ultra violentes d’Irréversible (le fameux défonçage de crâne à coups d’extincteur, et l’inénarrable scène de viol), le gland en pleine action vu de l’intérieur d’un vagin dans Enter the void… Mais pour autant, pas de quoi fouetter un curé avec Love, à l’heure où il est tellement simple de visionner une vidéo sur la Toile (que celui ou celle qui prétend ne l’avoir jamais fait sache que personne ici ne le croira), et surtout, parce que Noé n’invente rien. On en compte pas mal, des films d’auteur montrant tout et jouant la carte du sexe pour de vrai  à l’écran : Lars Von Trier dans les Idiots (grande partouze dogmatique) et aussi dans Antichrist, Michael Winterbottom avec 9 Songs, déjà du sexe et du rock’n’roll (les scènes de concerts sont également filmées pour de vrai !), Vincent Gallo dans The brown bunny (le beau gosse exhibe avec fierté son énorme vit que Chloe Sevigny avale goulûment jusqu’à la lie), Carlos Reygadas et sa célèbre scène de pipe de Bataille dans le ciel , Cameron Mitchell et sa boute à partouzes dans Shortbus, Larry Clarke et encore des fellations dans Ken Park ou encore Philippe Grandrieux avec La vie nouvelle (l’action se déroule dans un bordel sordide d’un pays quelconque des Balkans). Love vaut avant tout pour sa mise en scène, élégante, ses cadrages serrés et symétriques, sa lumière de club branché, sa musique sensuelle, puissante et chaloupée. Pour le reste, rendez-vous dans quelques mois sur Internet pour des compilations des scènes de cul, à ranger au rayon des pornos bien bâtis. Mais une chose est sûre :  50 nuances de gris peut aller ranger ses cravaches au placard.

 

Photo : Klara Kristin, à l’affiche de Love de Gaspar Noe, présenté hors compétition en séance de minuit le 20 mai 2015 au 68e Festival de Cannes. (c) Moland Fengkov.

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Moland Fengkov

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Moland est le représentant officiel de Plume Noire au festival de Cannes. Outre sa passion du cinéma, il est photographe professionel et journaliste freelance.
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