Cogan

Voilà un film qui joue sur les codes et ne s’avère pas être ce qu’il prétend être. Un énième polar, comme le cinéma américain sait si bien en accoucher ? Que nenni. Le personnage principal du film d’Andrew Dominik n’est pas celui du titre. Ce n’est pas ce tueur à gages, faussement classieux, bouffi de principes, dont celui de tuer les gens en douceur, chargé de remettre de l’ordre dans un milieu de malfrats dont l’équilibre se trouve bouleversé par un casse réalisé par deux petites frappes. Ce ne sont pas non plus lesdites petites frappes, deux pauvres hères qui braquent un tripot clandestin sans soupçonner les conséquences de leur acte. Le véritable héros du film n’est autre que l’Amérique. Les Etats-Unis de 2008, cherchant encore à préserver son rêve américain, clamant son unité en tant que peuple, sa force face à la crise économique qui se répand dans le monde. En pleine campagne présidentielle, Obama et Bush trustent les écrans télé et clament haut et fort pouvoir sauver la solidité d’un système, vendent du rêve à grands renforts de formules séductrices, prétendent que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, celui de leur tout puissant pays.

Mais à l’écran, Dominik nous montre une autre réalité, sa réalité : dans une Nouvelle Orléans toujours pas remise des colères de Dame Nature, des maisons abandonnées, des rues vides et crasseuses, des zombies fatigués, au bout du rouleau, poisseux jusque qu’au plus profond de leur âme, vêtus de complets tristes ou suintant leurs addictions, drogue, alcool, par tous les pores. Dans cette jungle désabusée, seul l’argent compte, et à ce jeu-là, on mord pour le moindre petit billet. L’heure n’est plus aux sentiments, même si le Cogan du titre prétend, avec ses manières et ses principes, liquider ses cibles « en douceur ». Ce n’est pas par humanisme, mais pour s’éviter la gêne de s’approcher de trop près, car ceux qui vont mourir supplient, pleurent, se lamentent, et « c’est embarrassant » (sic).

Le film tout entier file la métaphore : sous les atours du film de genre, il met en scène une entreprise contrainte de prendre des mesures drastiques à l’encontre de ses employés fautifs pour préserver son équilibre financier. Deux francs tireurs lancent une opération qui déstabilise l’ensemble fragilisé par la crise. Les dirigeants, invisibles, dont on ne sait quasiment rien, qui commandent de loin, eux-mêmes éreintés (on apprend que l’un d’eux casse sa pipe à la fin du film) envoient l’avocat maison traiter avec une sorte de DRH, lequel engage des indépendants pour se séparer de ces éléments perturbateurs et ainsi rétablir l’équilibre. Ne reste plus que pour ce DRH, une fois la mission accomplie, d’empocher sa commission. « L’Amérique n’est pas un pays, c’est un business », clame-t-il. Idée intéressante, déclinée tout au long de l’histoire, qui réduit les personnages à des rouages d’un système auquel il ne faut pas toucher, quand bien même il s’avère rouillé. Ce propos permet à la mise en scène de s’amuser tout en rendant hommage au film de mafieux tels que les aînés de Dominik ont pu en offrir les heures de gloire. On se dit que depuis Les Affranchis de Scorcese, Ray Liotta, en tenancier de tripot minable, a sacrément vieilli. De même pour James Gandolfini, échappé de la série Les Sopranos, ici en tueur à gages miné par ses soucis conjugaux et complètement ravagé par l’alcool : un tueur à gages indépendant en fin de carrière incapable d’honorer son contrat. Dominik, à la manière de Tarantino, installe ses personnages dans de longues scènes de palabres, de négociations, de digressions savoureuses, livrant les meilleurs morceaux de bravoure du film : les rencontres entre Cogan et l’avocat peuvent prétendre au statut de scènes cultes.

Mais si le réalisateur n’oublie pas que sa mise en scène ne sert qu’à s’amuser avec les codes du genre pour révéler en filigrane le véritable propos de son récit, il accorde si peu de confiance en l’intelligence du spectateur qu’il en vient à forcer tous les traits. Jusque dans l’esthétique même du film : complètement gratuite. Tout y passe : ralentis, flous, stylisation à outrance de la violence. Le tout martelé par les discours des politiques, à la limite de la logorrhée, et donc, de la nausée. Même la bande-son, de Johnny Cash au Velvet Underground, appuie ostensiblement le discours de l’image. Est-il besoin de nous faire écouter « heroin » du Velvet durant une scène de shoot… à l’héroïne ?

Contrairement à son précédent opus, L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford, Cogan, killing them softly manque cruellement de subtilité, voire de maturité, et le cynisme du réalisateur, desservi par une mise en scène qui, ne sachant pas toujours comment montrer intelligemment les choses, choisit de tout montrer et tout expliquer, en prenant par la main le spectateur, en devient un tantinet vulgaire. Le film aurait gagné en profondeur s’il avait gardé un minimum de foi, en lui-même, en son propos, en sa forme. A l’instar de ses personnages.

Réalisateur: Andrew Dominik – Acteurs: Brad Pitt, Scoot McNairy – Durée: 1:37 – Année: 2012 – Pays: U.S.A.

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Moland Fengkov

Moland Fengkov

Moland est le représentant officiel de Plume Noire au festival de Cannes. Outre sa passion du cinéma, il est photographe professionel et journaliste freelance.
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