Ainsi donc, le film qui aura indéniablement proposé les images les plus déroutantes mais surtout les plus fortes, celles qui s’imposent et s’installent dans la mémoire longtemps après les avoir vues (subies pour beaucoup) remporte sans réelle surprise la Palme d’Or. Participant de la légende, le lauréat, absent de la conférence de presse comme de la Montée des Marches, ne viendra pas chercher sa récompense. Timidité, aversion pour le décorum, ego sur-dimensionné ? Une attitude à l’image de l’oeuvre, insaisissable, hermétique, personnelle jusqu’au déni d’autrui. Terrence Malick et son Tree of life a su se faire attendre (il devait déjà faire partie de la compétition de la 63e édition du Festival de Cannes) pour mieux marquer l’histoire du festival. On ne peut pour autant s’empêcher de s’autoriser une comparaison avec l’autre cinéaste de cette 64e édition, qui aura brillé par sa présence, puis par son absence. Lars Von Trier aurait pu prétendre à la Palme d’Or, avecMelancholia, l’un de ses plus beaux films, l’autre seul petit chef d’oeuvre d’une sélection officielle pourtant de qualité, qui laisse une trace tenace dans les mémoires, le pendant sombre et négatif de Tree of life, son cousin maudit, son yang, là où Malick célèbre la vie et tutoie Dieu, LVT lui joue la carte du nihilisme face au cosmos.
On peut se demander dans quelle mesure le dérapage de LVT ne lui a pas fermé les portes du podium malgré une impartialité affichée du jury mené par Robert de Niro. C’eut été une belle première de voir la récompense suprême décernée à un auteur interdit de séjour et cela n’aurait pas changé grand chose, puisque tout comme Malick, LVT n’aurait pas monté les Marches pour recevoir la Palme, les organisateurs l’ayant déclaré persona non grata. C’eut pu être une belle première qu’un lauréat refuse même de venir chercher la Palme. LVT en est capable, il n’en est plus à un suicide médiatique près… Dans quelle mesure, se demande-t-on, le Prix d’interprétation féminine, décerné à Kirsten Dunst, ne constitue-t-il pas un prix de complaisance, de consolation, et bien pratique puisque récompenser la prestation de la comédienne, c’est récompenser par procuration Melancholia sans avoir à décerner un prix à son trublion de réalisateur ? Astucieux ! Nonobstant, Dunst mérite amplement son prix, elle livre l’une de ses plus belles performances à l’écran, tout en finesse, en retenue, en nuances, et prouve par-là ô combien LVT excelle dans la direction d’acteurs et sait tirer le meilleur de ses castings en leur demandant d’aller puiser au plus profond de leurs tripes.
Si la concurrence face à Kirsten Dunst se réduisait à l’excellente (comme toujours, a-t-on envie de préciser) performance de Tilda Swinton, pour le Prix d’interprétation masculine, plusieurs noms brûlaient les lèvres des parieurs : Michel Piccoli en pape en pleine crise de foi, Brad Pitt en père fouettard, Sean Penn en Robert Smith névrosé, Ryan Gosling en machine à broyer des crânes, pied au plancher… Mais un outsider a su séduire le jury, essentiellement composé d’anglo-saxons qui auront certainement apprécié (à sa juste valeur) le plus actor-studio des comédiens français, Jean Dujardin.
Consensuel, le palmarès ? Pas vraiment. Si la Palme d’Or ne surprend guère (même si nous maintenons notre avis au sujet du chef d’oeuvre raté de Malick), de grands favoris dont la rumeur promenait les noms le long de la Croisette repartent finalement bredouilles : Kaurismaki, Almodovar, Cavalier, Moretti. Quatre réalisateurs ayant su renouveler leur propre cinéma et surprendre avec des films unanimement salués par la critique et le public dans leur ensemble. La surprise viendra finalement des outsiders : Nicolas Winding Refn et son hommage aux séries B des années 80, Drive, kitsch au possible et ultra-violent, remporte le Prix de la Mise en Scène, tandis que le polar à la turque de Nuri Bilge Ceylan, nimbé d’une atmosphère languide et fantastique, qui aura épuisé plus d’un festivalier avec ses 2h45 de road-trip dans la nuit noire de l’Anatolie, et fait rire plus d’un critique crétin avec son “casting à moustaches”, rafle le Grand Prix, qu’il partage curieusement avec les frères Dardenne.
Plus contestable, le Prix du scénario pour Footnote, un film dont on se demande encore pourquoi il figurait en compétition officielle quand dans la section Un Certain Regard on pouvait avoir un Gus Van Sant d’excellent aloi ou un Zviagintsev des plus subtiles. Finalement, le jury du Grand Bob récompense un cinéma exigeant mais également un cinéma populaire qui ouvre le Festival de Cannes au grand public. Nul doute que The Artist trouvera les chemins du box-office, tout comme Polisse de Maïwenn (Prix du Jury) tiendra certainement la distance en salle, contrairement à sa réalisatrice, Palme d’Or de l’essoufflement, après avoir parcouru 10 mètres pour monter sur scène et prononcer un haletant discours, entre deux soupirs d’émotion.
Les mauvaises langues incapables de comprendre les vrais enjeux du cinéma en tant que passerelle vers d’autres mondes pestaient contre la Palme d’Or décernée à Apichatpong Weerasethakul, à l’issue de la précédente édition. Que diront-ils de celle-ci, dont l’histoire retiendra surtout deux absences : celle de deux génies de l’image. Absents des Marches, l’un par choix, l’autre par excès d’humour noir. Mais incroyablement présents sur les écrans, sur les rétines, dans les mémoires, voire les chairs.
Moland Fengkov
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