De Rouille et D’os

Attention, chef d’œuvre ! Dès les premiers plans de De Rouille et d’os, Jacques Audiard annonce la couleur. Le générique, à la lisière du clip vidéo et de la pub pour parfum, mais qui se veut complexe, riche, évocateur, signifiant, place la barre très haut. Le spectateur ne va voir un film d’artisan, mais une grosse machine.

Sur le papier, le réalisateur français, auréolé du succès critique et public d’Un prophète, réunit tous les ingrédients pour faire de son nouvel opus un film qui fera date. Tout d’abord, l’histoire : un drame, un accident, une rencontre entre deux êtres que tout oppose, deux mondes radicalement différents, une histoire d’amour qui débute, cherche ses repères, le tout sur fond de combats clandestins et de familles luttant pour leur survie. Ensuite, les personnages : entre Matthias Schoenaerts tout en muscles et en sensibilité naïve, et Marion Cotillard, dont le rôle d’estropiée semble taillé pour les prix d’interprétation.

Enfin, la mise en scène, millimétrée, où chaque mouvement de caméra semble prémédité longtemps avant son lancement, servi par une photographie des plus chiadées. Même la note de réalisation annonce le chef d’œuvre : adapter un recueil de nouvelles de Craig Davidson en s’appropriant son univers, notamment en créant de toutes pièces les deux protagonistes principaux de l’histoire, eux-mêmes absents de l’œuvre inspiratrice. C’est un peu comme si Audiard avait voulu réaliser son Apocalypse Now, en reléguant le recueil de Davidson à la « préhistoire du projet » (sic).

Sauf que voilà, à l’instar de cette critique, ce que l’on vous annonce au début de façon presque outrancière, s’avère trop bien huilé pour être vrai. Expliquons-nous :  De Rouille et d’os détient les armes pour séduire le plus grand nombre, et surtout, son auteur ne cache pas ses ambitions, à savoir en faire un bijou. Le hic, c’est que toutes ces intentions transpirent de façon insidieuse à chaque plan.

La symbolique du drame, au tout début du film, contenue dans ce plan de jambes féminines en train de marcher, résume à elle seule le procédé d’Audiard, voulant mener à la baguette l’intelligence du spectateur tout en prétendant se contenter de lui accorder sa confiance. Des symboliques, le film en fourmille. L’homme par qui Stéphanie, après son terrible accident, va apprendre à s’abandonner, n’est autre qu’une bête de plus, pas très différente  au final des orques qu’elle dressait avant que l’un d’entre-eux ne l’estropie. Les clés pour que leur relation fonctionne, elle les détient, tout comme lui, par sa nature et sa sensibilité animales, présente tous les critères que réunissent les animaux avec lesquels elle avait l’habitude de travailler. On nous les présente issus de deux mondes différents mais on nous glisse moult indices qui mènent inexorablement et donc, sans surprise, à leur rapprochement annoncé. Ce n’est pas par hasard si c’est dans la mer, au cours d’une première baignade, que Stéphanie, la femme meurtrie, détruite, accepte de se laisser dompter par cet inconnu. Littéralement, de se mettre à nu.

Ce n’est pas pour rien non plus qu’elle en arrive à manager les combats clandestins de son amant. Les scènes de sexe, notamment la première, se veut sans tabou, sans chichi, avec toute la naïveté de la première fois. Comme un nouveau départ. Sans pudeur, sans préjugé. Là encore, tous les éléments de ces scènes, signifiants comme signifiés, tendent au chef d’œuvre : prouesse technique (les moignons des jambes amputées d’un réalisme numérique bluffant), performance de l’actrice (témoin, la découverte au réveil, dans une chambre d’hôpital, de la perte de ses jambes, ou encore, cette larme qui coule le long de la joue selon un timing d’horloge suisse), thèmes abordés (la lutte des classes, la survie dans un monde moderne sans pitié, l’apparent refus du pathos et du sentimentalisme.

C’est là que le film échoue dans son entreprise. On ne décide pas de réaliser un chef d’œuvre. A force de vouloir tout contrôler, jusque les émotions du spectateur, Audiard s’enferme dans une mise-en-scène trompeuse qui ne laisse aucune place au hasard tout en prétendant le contraire. Il y a quelque chose de malhonnête dans la démarche comme dans sa façon de mener le projet, ou du moins, le réalisateur semble s’égarer sur les choix qui s’imposaient à lui. Cette peur de sombrer dans le ridicule, tapie sous la volonté farouche de travailler chaque compartiment du film, empêche celui-ci de se libérer pour mieux toucher au sublime, le caresser, tout du moins. Au final, le film agace plus qu’il ne séduit, et l’arrogance de ses ambitions l’étouffe de bout en bout.

Réalisateur: Jacques Audiard – Acteurs: Marion Cotillard, Matthias Schoenaerts – Durée: 1:55 – Année: 2012 – Pays: France

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Moland Fengkov

Moland Fengkov

Moland est le représentant officiel de Plume Noire au festival de Cannes. Outre sa passion du cinéma, il est photographe professionel et journaliste freelance.
Moland Fengkov

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3 Comments

  • t’es dur quand même, le problème vient, a mon avis, plus du mélo avec Marion C. que des choix de Jacques Audiard

  • je pense que ce film devrait etre interdit au moins de 10 ans tout de meme !!
    j’y suis allée avec mes vneveux 13 et 11 ans , j’était meme génée par certaines scénes de viloences et de sexes .enfin il on fait leur éducation sexuelle comme ça .
    beau film mais tout de meme déçue, les handicapées (car j’y suis moi-méme) ne pense pas qu’au sexe comme on le perçoit dans le film !!!!
    je ne le conseille pas , rien à voir avec intouchabl comme beaucoup l’on dit .

  • Moland Fengkov

    Oui Mathieu, je suis dur, mais je persiste. Je suis sorti de ce film agacé, voire énervé, tellement chaque plan, aussi beau soit-il, transpire les intentions du réalisateur…