Edito – Palmarès de Cannes 2012

« Aucun prix n’a été attribué à l’unanimité ». Le président du jury n’aura eu de cesse de marteler cette précision au cours de la conférence de presse que les jurés ont accordée aux journalistes  à l’issue de la remise des prix de la 65e édition du Festival de Cannes. Il fallait donc comprendre que les débats devaient avoir été houleux et animés, et il en résulte un des palmarès les plus incohérents et discutables de l’histoire du festival. « J’ai 8 nouveaux amis », rassure Nanni Moretti. Comme pour mieux paraître soudés, à la question d’un journaliste adressée à Alexander Payne sur l’absence de film américain au palmarès et sur son retour au pays qui risque de s’accompagner de ressentiments de la part de ses compatriotes, Raoul Peck répond : « Nous irons tous avec lui ! » Solidaires, donc ? Plus tard, Andrea Arnold, qui avoue avoir un peu bu, se fâche contre un journaliste interrogeant Jean-Paul Gaultier sur les costumes des films vus, taxant la question de stupide.

Si la Palme d’or attribuée à l’ode à l’Amour (critique du film) de Michael Haneke ne trouvera personne pour la contester, tant ce film touche par sa maîtrise, sa force émotionnelle et sa justesse, Nanni Moretti ne restera pas dans l’histoire comme un président de l’audace, comme avaient pu l’être Sean Penn, David Cronenberg ou Tim Burton. Overdose de limousines ? Ni Cosmopolis (critique du film) ni Holy Motors (critique du film), deux films radicaux traversés par le véhicule de luxe, qui divisent les festivaliers et par-là même engendrent des débats passionnants, n’ont su retenir l’attention du jury de la Compétition officielle. Au rayon de l’interprétation masculine, de nombreux comédiens pouvaient prétendre au prix : Trintignant se voit primé par la Palme d’or, mais Denis Lavant et la troupe d’Alain Resnais, voire Matthias Schoenaerts auraient pu tout autant se voir récompensés. En couronnant Mads Mikkelsen, certes tout en finesse dans son rôle d’éducateur accusé à tort de pédophilie, le jury récompense un film très moyen, digne d’une production télévisuelle, malgré un scénario bien construit : La Chasse (critique du film) de Thomas Vinterberg.

Cristian Mungiu se voit récompensé pour le scénario d’Au-delà des collines (critique du film). Etonnant, quand on sait que ce film excelle à bien d’autres aspects, notamment sa mise en scène tout en tension sourde. Rien à dire sur l’époustouflante performance de ses deux actrices Cristina Flutur et Cosmina Stratan, qui comptaient de sérieuses concurrentes parmi lesquelles Margarethe Tiesel, les actrices d’Alain Resnais ou encore Marion Cotillard.

Carax, Reygadas, Seidl, voire Cronenberg. Ces réalisateurs ont présenté des œuvres controversées, qui ont divisé la critique. Au palmarès n’en reste qu’un, qu’Andrea Arnold a défendu : « courageux, tendre, plein d’amour. »  Tels sont ses qualificatifs pour parler du pompeux et prétentieux Post Tenebras Lux de Carlos Reygadas. Lequel arrivera en conférence de presse comme un triomphateur, exhibant son diplôme à la barbe des journalistes ayant assassiné dans les colonnes de leur médium son film. Afin de soutenir le discours de Moretti sur la solidarité du jury, Raoul Peck en rajoute dans la justification : « J’ai rarement vu des images avec une telle force et une telle liberté, même une certaine sincérité, ce film nous rattache à des problèmes d’aujourd’hui et les transpose dans un autre lieu géographique qui décuple sa force, il parle du couple, de son isolement, des enfants, de l’amour, de l’incapacité à communiquer, même de lutte des classes. Et tout ça avec une poésie incroyable. Le film a une structure très  cassée, il faut participer dans sa construction, mais ses images restent dans ma tête, et  dans leur violence même je retrouve l’amour dont parle Andréa, la tendresse dans le désarroi de ces êtres. »

Restent deux surprises au palmarès : un film mineur dans la carrière Ken Loach, et l’ennuyeux Reality de Matteo Garrone. Alors, que retenir de ce palmarès ? Une Palme qui fait l’unanimité, la frustration de la presse française qui avait défendu Leos Carax le maudit, l’absence totale d’Américain sur le podium, malgré une forte présence dans la compétition, et des prix relativement interchangeables.

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Moland Fengkov

Moland Fengkov

Moland est le représentant officiel de Plume Noire au festival de Cannes. Outre sa passion du cinéma, il est photographe professionel et journaliste freelance.
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