Inside Llewyn Davis

21005275_20130927183847948300Il y a souvent, dans les films des prolifiques des frères Coen, un savant mélange d’ambiances et de tons différents. Ils ont toujours su dérouler le fil de la narration des intrigues de leurs films, en s’attachant aux détails comme des orfèvres, qu’ils bercent dans la comédie la plus légère ou dans le thriller le plus sombre. L’humour noir qui surgit dans le dérangeant No country for old man n’a d’égal que le tragique qui se tapit derrière les gags de The Big Lebowski. Dans Inside Llewyn Davis, on baigne dans la comédie, mais ni dans le burlesque ni dans le grotesque. Ici, on rit, mais sans jamais sortir de l’atmosphère désespérée qui sous-tend le film, à l’instar des volutes de cigarettes qui envahissent l’air feutré des clubs et des bars de Greenwich Village où le héros qui donne son nom au film se débat pour percer dans le monde de la musique. C’est un film enfumé par la brume de l’hiver et les cigarettes des pubs.

Ce monde, dans lequel notre pauvre hère patauge, c’est celui de la folk musique. Nous sommes dans le New-York des années 1960. Personne ne connaît encore Bob Dylan, qui fera une furtive apparition à la fin du film, ombre nasillarde encore anonyme, en clair, un personnage comme un autre, mais dont la bonne étoile brillera davantage. Llewyn Davis, lui, est un artiste qui a connu la gloire en duo avec un autre chanteur, mais depuis la disparition de ce dernier, sa carrière bat de l’aile, doux euphémisme pour parler d’un parcours au point mort. Loser en voie de clochardisation, il traîne sa guitare dans les clubs et accumule les mésaventures, comme les exemplaires de son album solo qui s’empilent au rayon des invendus, la guigne semblant lui coller aux semelles comme une malédiction. Dans le froid glacial de l’hiver, il se fait tabasser par un inconnu, squatte les canapés des amis qu’il lui reste, qui le dépannent avec de moins en moins d’entrain, et aligne les mauvais choix. Témoin, ce job en studio d’enregistrement où il vient prêter sa voix et sa guitare pour les arrangements. Afin d’empocher davantage de cash, il renonce à ses droits d’auteur, et par conséquent, passe à côté de l’opportunité de devenir riche quand le titre deviendra un tube. D’échecs en échecs, il se trouve emporté dans le tourbillon de la vie comme un mégot dans une bourrasque de vent, et quand il décide malgré tout d’assumer ses propres choix sans avoir à subir le destin, celui-ci lui refuse toute issue satisfaisante. Quand bien même il abandonnera toute velléité de percer dans le show-business pour se reconvertir dans la marine marchande, le destin lui refusera cette issue et le renverra au néant de sa situation.

Pour autant, et c’est ce qui rend toujours touchants les personnages de perdants que les frères Coen aiment dépeindre, Llewyn Davis continue de se battre avec la molle énergie du désespoir, sans jamais se morfondre. Campé par un Oscar Isaac qui porte le film sur ses épaules, nonobstant la maestria des personnages secondaires, de CareyMulligan en ex-petite amie acariâtre à Justin Timberlake, en chanteur policé, en passant par John Boorman, dans la peau d’un ogre effrayant, Llewyn Davis promène son regard de Droopy fataliste tout au long de ce qui détient tous les atours d’une odyssée. Si les Coen s’amusent à utiliser le moindre détail de scénario pour enfoncer davantage leur anti-héros dans la mouise, c’est toujours avec une certaine tendresse. Ce qui ne rend pas le film moins dépressif.

Réalisateur: Ethan and Joel Coen – Acteurs: Oscar Isaac, Carey Mulligan, Justin Timberlake  – Durée: 1:45 – Année: 2013 – Pays: Etats-Unis

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Moland Fengkov

Moland Fengkov

Moland est le représentant officiel de Plume Noire au festival de Cannes. Outre sa passion du cinéma, il est photographe professionel et journaliste freelance.
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