La Grande Bellezza

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Voilà un film qui devrait plaire aux cyniques, ou à ceux qui rêvent de l’être. Car le cynisme est le compagnon de la nostalgie. Et parfois, celui des grands poètes maudits. La Grande Bellezza n’est ni plus ni moins qu’un cri du cœur pour la gloire passée du cinéma italien, celui de Fellini et de Scola notamment. Pour incarner ce fantôme, Sorrentino a imaginé un personnage de dandy décadent, en fin de parcours, donc, mais qui garde encore de sa superbe. Auteur d’un unique roman à succès, mais se contentant depuis de signer quelques articles dans les pages d’un magazine à la mode, il passe le plus clair de son temps à écumer les soirées et autres raouts de la capitale transalpine pour porter un regard cruel sur ses contemporains, et en substance, sur lui-même.

La Grande Bellezza parlera également à ceux qui ont un jour écumé la Croisette pendant le Festival de Cannes. Le clinquant de ses fêtes soi disant incontournables, à l’entrée desquelles on attend une heure, jouant des coudes dans la file anarchique de talons aiguilles et de vestes à la mode qui se presse devant les molosses de la sécurité pour finalement constater sur un ton péremptoire avec un air blasé que ladite fête s’avère nulle, la pauvreté du buffet et le choix désastreux du DJ pointés du doigts, mais dont on s’enorgueillit d’avoir pu y pénétrer. La superficialité des relations humaines qui s’y tissent et s’y défont. La mondanité des conversations autour des films, chacun rivalisant de concert pour formuler le mot d’esprit ultime à leur sujet, dont on surveillera la courte carrière sur les réseaux sociaux. Car dans le film, les soirées mondaines et les fêtes décadentes se succèdent, filmées avec le velours des salons cozy de Rome ou dans l’hystérie des soirées branchées. Et les vacheries intellectuelles fusent : « Flaubert voulait écrire sur le néant. S’il t’avait connue on aurait eu un grand roman ».

Il faut faire preuve d’intelligence pour s’adonner au cynisme, et notre dandy désabusé n’en manque pas. Lorsqu’il dit ses quatre vérités à une des invités des dîners qu’il organise sur sa terrasse donnant sur le Colisée de Rome, c’est avec un savoureux mélange de méchanceté et d’honnêteté. Et pour pointer du doigt toute la vacuité du monde moderne, toute la vulgarité de ses contemporains, Sorrentino accumule les effets de style, les plans de coupe endiablés et névrotiques, les scènes surréalistes au cœur desquelles se placent des performances artistiques aussi ridicules que prétentieuses. Le tout sur plus de deux heures finit hélas par noyer les bonnes idées du film, ses fulgurances, ses éclats d’intelligence, ses pertinences, dans un magma baroque qui achève d’écoeurer le spectateur. Sorrentino ne sait jamais trouver la juste distance pour que son propos parvienne à séduire et convaincre complètement. C’est d’autant plus dommageable que son allégorie de la nostalgie détient tous les atouts pour remplir cet objectif, mais au final, on ne sait pas trop si on doit le plaindre ou l’admirer, et on sort de La Grande Bellezza avec le sentiment de gâchis, tout comme le personnage gâche son intelligence à flinguer à tours de bras ses pairs plutôt que d’employer ses atouts à retrouver sa gloire passée.

Réalisateur: Paolo Sorrentino – Acteurs: Toni Servillo, Carlo Verdone, Sabrina Ferilli – Durée: 2:21 – Année: 2013 – Pays: Italie

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Moland Fengkov

Moland Fengkov

Moland est le représentant officiel de Plume Noire au festival de Cannes. Outre sa passion du cinéma, il est photographe professionel et journaliste freelance.
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