La Grande Bellezza parlera également à ceux qui ont un jour écumé la Croisette pendant le Festival de Cannes. Le clinquant de ses fêtes soi disant incontournables, à l’entrée desquelles on attend une heure, jouant des coudes dans la file anarchique de talons aiguilles et de vestes à la mode qui se presse devant les molosses de la sécurité pour finalement constater sur un ton péremptoire avec un air blasé que ladite fête s’avère nulle, la pauvreté du buffet et le choix désastreux du DJ pointés du doigts, mais dont on s’enorgueillit d’avoir pu y pénétrer. La superficialité des relations humaines qui s’y tissent et s’y défont. La mondanité des conversations autour des films, chacun rivalisant de concert pour formuler le mot d’esprit ultime à leur sujet, dont on surveillera la courte carrière sur les réseaux sociaux. Car dans le film, les soirées mondaines et les fêtes décadentes se succèdent, filmées avec le velours des salons cozy de Rome ou dans l’hystérie des soirées branchées. Et les vacheries intellectuelles fusent : « Flaubert voulait écrire sur le néant. S’il t’avait connue on aurait eu un grand roman ».
Il faut faire preuve d’intelligence pour s’adonner au cynisme, et notre dandy désabusé n’en manque pas. Lorsqu’il dit ses quatre vérités à une des invités des dîners qu’il organise sur sa terrasse donnant sur le Colisée de Rome, c’est avec un savoureux mélange de méchanceté et d’honnêteté. Et pour pointer du doigt toute la vacuité du monde moderne, toute la vulgarité de ses contemporains, Sorrentino accumule les effets de style, les plans de coupe endiablés et névrotiques, les scènes surréalistes au cœur desquelles se placent des performances artistiques aussi ridicules que prétentieuses. Le tout sur plus de deux heures finit hélas par noyer les bonnes idées du film, ses fulgurances, ses éclats d’intelligence, ses pertinences, dans un magma baroque qui achève d’écoeurer le spectateur. Sorrentino ne sait jamais trouver la juste distance pour que son propos parvienne à séduire et convaincre complètement. C’est d’autant plus dommageable que son allégorie de la nostalgie détient tous les atouts pour remplir cet objectif, mais au final, on ne sait pas trop si on doit le plaindre ou l’admirer, et on sort de La Grande Bellezza avec le sentiment de gâchis, tout comme le personnage gâche son intelligence à flinguer à tours de bras ses pairs plutôt que d’employer ses atouts à retrouver sa gloire passée.
Réalisateur: Paolo Sorrentino – Acteurs: Toni Servillo, Carlo Verdone, Sabrina Ferilli – Durée: 2:21 – Année: 2013 – Pays: Italie
Moland Fengkov
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