Like Someone in Love

Après Copie conforme qui se déroulait en Italie, Abbas Kiarostami installe maintenant le dispositif de son dernier film au Japon. Narrant l’histoire d’une jeune escort girl, harcelée par son petit ami jaloux, Like Someone in Love – titre en référence à un standard de jazz – s’inscrit pleinement dans le prolongement des films de Kiarostami. L’essentiel de l’action se déroule encore ici dans des voitures, motif fécond et décliné à l’envi au fil d’une œuvre constamment en mouvement.

Sommée par son patron de se rendre chez un client, en périphérie de Tokyo, Akiko résiste. Sa grand-mère est venue la voir pour la journée et l’attend à la gare. Elle lui a laissé plusieurs messages téléphoniques déchirants, avec l’espoir de l’arracher à sa condition. Mais la jeune femme devra se contenter de l’apercevoir depuis le taxi qui l’emmène contre son gré loin d’elle. C’est l’une des scènes les plus cruelles du film, l’une des plus étranges aussi.

Le temps semble s’écouler à un rythme qui n’appartient qu’à lui. Le trajet, censé durer une heure, s’étire sur un laps de temps très suggestif. La remarquable scène d’ouverture dans le club, toute en reflets et surimpressions, corrobore cette sensation de film mental. Tout l’art de Kiarostami s’y exprime brillamment. Revisitant de manière radicale le champ-contrechamp, mêlant les voix et les discussions sans qu’on puisse les attribuer à des interlocuteurs immédiatement identifiés, l’entrée en matière place d’emblée le film sur le terrain de la maîtrise et de l’expérimentation.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le film nous entraîne sans arrêt là où on ne l’attend pas. Tant du point du vue du récit que de la forme. Un vieux et inoffensif professeur de sociologie accueille finalement Akiko chez lui. Plus préoccupé d’avoir de la compagnie que de profiter des faveurs sexuelles de la jeune femme, le vieil homme noue avec elle une relation filiale. D’ailleurs, il va la faire passer pour sa petite-fille quand débarque le petit ami violent. Mais l’inexorable est en cours.

D’une ampleur, d’une précision proprement sidérantes, Like Someone in Love renouvelle, sur un dispositif pourtant parfaitement rodé, le geste d’Abbas Kiarostami. Chaque nouveau territoire qu’il explore lui permet d’adapter ses fictions à des environnements inconnus, à leur insuffler une grâce inédite. La fin, brutale et angoissante, ne contredira pas notre propos. Elle prouve à quel point Kiarostami rivalise d’audace à chaque plan et laisse augurer de futures aventures cinématographiques tout aussi passionnantes.

Réalisateur: Abbas Kiarostami – Acteurs: Rin Takanashi, Tadashi Okuno – Durée: 1:49 – Année: 2012 – Pays: Japon

The following two tabs change content below.
Sandrine Marques

Sandrine Marques

Sandrine vit à Paris, est journaliste freelance et écrit passionnément sur le cinéma.
Sandrine Marques

Latest posts by Sandrine Marques (see all)