Moonrise Kingdom

Moonrise KingdomOn peut reprocher à Wes Anderson de toujours construire ses films avec les mêmes ficelles, de les habiller de la même esthétique un tantinet maniérée. Mais on ne peut lui dénier un certain savoir-faire dans la composition des plans, dans sa façon d’insuffler chez ses comédiens un plaisir ludique du jeu pour raconter des histoires improbables qui se moquent éperdument du réalisme, du temps et de l’espace, leur préférant l’onirisme désenchanté et mélancolique des contes modernes.

Dès le plan séquence d’ouverture, on retrouve la maestria du dandy Anderson. La caméra visite la maison d’une famille nombreuse, passant de pièce en pièce au rythme de la routine du quotidien, avec la précision millimétrée d’une horloge suisse en lévitation. Les membres de la famille vaquent à leurs occupations dans des tableaux animés qui, à leur manière, à l’opposé de tout réalisme, résument le système Anderson. Chez Anderson, tout prend des allures de laboratoire, de maison de poupées où chaque rebondissement de l’intrigue entraîne des conséquences mesurées à l’avance, mais dont seul le démiurge derrière la caméra en connaît les arcanes. Pour quiconque a apprécié La Vie Aquatique ou A bord du Darjeeling Limited, on reste donc ici en terrain connu. Au risque de se lasser. Mais Anderson garde pour lui ses talents de conteur.

Nous sommes donc en 1965 sur une île isolée. Deux ados fuguent pour développer leur histoire d’amour à l’écart du monde, bousculant ainsi le quotidien des adultes qui mettent tout en branle pour les retrouver. C’est le point de départ d’une plongée dans l’univers d’Anderson qui ne raconte jamais que la même histoire, de film en film : celle du dysfonctionnement d’un microcosme autarcique régi par ses propres règles. Des règles qui défient les sens de la réalité (ici, la foudre ne tue pas, comme dans un cartoon de Tex Avery) mais qui se nourrissent de fantaisie et de mélancolie.

Si le récit donne la part belle aux deux héros découvrant l’amour loin de la tristesse des adultes, il n’oublie pas sa collection de personnages secondaires campés par des stars visiblement heureuses d’assurer des contre-emplois, de Bruce Willis en shérif fragile et dépassé, amant malheureux détestostéroné, à Edward Norton, en chef scout pétri de culpabilité, en passant par l’inévitable Bill Murray, en éternel Droopy submergé par la lassitude du couple.

Lorsque une tempête annoncée éclate, le film vire au cartoon pur et simple, mêlé au film catastrophe. Anderson déploie alors toute la palette de ses artifices pour emporter ses personnages, et partant, le spectateur, dans le délire poétique de son petit monde. Tout cela pourrait paraître vain au regard de ses précédentes œuvres, mais il n’en est rien. Au contraire, en plaçant des enfants au centre de son histoire, l’un malaimé au sein de son camp scout, l’autre, associable car en complet décalage avec sa famille, Anderson apporte une touche de naïveté et d’innocence à son univers, en convoquant la poésie et la nostalgie sans jamais sombrer dans le pessimisme. En somme, un film pour les adultes qui n’ont pas oublié qu’ils ont un jour été des enfants.

Réalisateur: Wes Anderson – Acteurs: Bruce Willis, Bill Murray, Edward Norton – Durée: 1:34 – Année: 2012 – Pays: USA

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Moland Fengkov

Moland Fengkov

Moland est le représentant officiel de Plume Noire au festival de Cannes. Outre sa passion du cinéma, il est photographe professionel et journaliste freelance.
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