Mud

mudJeff Nichols, c’est Take shelter. Un film qui avait autant séduit la critique que le public. Atmosphère anxiogène, portrait de famille et de l’Amérique paranoïaque, petit ovni cinématographique aux effets savamment distillés. Avec toutes les bonnes idées et tous les défauts qu’on peut trouver dans ce genre de production. Autant dire qu’on attendait le réalisateur au tournant avec Mud. Cette fois-ci, il opte pour une mise en scène plus sobre, plus classique, pour livrer une fable sur la fin de l’innocence. Mud est un récit d’apprentissage au cœur duquel se placent deux ados qui rappellent les héros du Tom Sawyer de Mark Twain.

Ellis et Neckbone, les inséparables, rencontrent un homme étrange réfugié sur une île au milieu du Mississipi. Tatoué, armé, aux abois, mais sympathiquement charismatique, cet inconnu les fascine d’emblée. Pas étonnant qu’ils se lient d’amitié avec lui et gobent sa mystérieuse histoire. Mud aurait assassiné l’amant de l’amour de sa vie et se cacherait de la vengeance de la famille du défunt. Ce récit des plus romantiques, au sens noble du terme, convainc aisément les deux jeunes amis de devenir ses complices et de l’aider dans sa quête de l’être aimé. D’autant que cette affaire leur garantit une bonne dose d’aventure qui les sortira de leur quotidien morose, voire déprimant, puisqu’Ellis assiste au délitement du couple que forment ses parents.

Sur fond de (faux) thriller sudiste, Nichols livre un conte initiatique plus riche que sa forme classique ne le laisse penser. Enrichi de personnages secondaires hauts en couleur qui apportent leur pierre à l’édifice sans trop en faire, mais  plutôt pour nourrir la trame principale, son film aborde les thèmes qui lui sont chers : l’exploration d’un territoire, celui de l’Amérique blanche du Sud, rurale, désargentée, la famille déréglée, l’amour contrarié. A ce titre, la déclaration du jeune Ellis à sa camarade de classe, devant un parterre d’élèves, contient en elle toute la maîtrise et l’émotion du film. Car si le film parle de l’initiation à l’âge adulte, sa mise en scène, en apparence sage, relève davantage de la maturité que de la timidité. Tout comme ses héros, Nichols se lance dans son projet sans chercher à impressionner, mais plutôt en cherchant la quintessence de l’émotion. Sans esbroufe, mais avec toute la sincérité nécessaire.

Sincères et justes, les comédiens le sont tout du long. A commencer par Tye Sheridan, petit prodige déjà présent chez Terrence Malick et son Tree of life, dont Mud rappelle l’univers lumineux. Mais aussi la confirmation que Matthew McConaughey peut se montrer génialement habité quand son talent se trouve entre de bonnes mains, comme celles de Nichols, de Soderbergh, de Friedkin, et non de Daniels, pour ne parler que de ses dernières interprétations. Nichols excelle dans la direction d’acteurs en ne négligeant pas les seconds rôles et en leur accordant, le temps d’une scène, d’une apparition, toute l’importance que leur intervention peur apporter à l’histoire.

Au final, Mud offre aux spectateurs, à travers le regard de deux enfants, une certaine idée de l’aventure, de l’amour et de l’amitié, sans nostalgie, sans affèterie, sans niaiserie, mais avec toute la maturité d’un auteur qui a l’intelligence de servir le fond de son propos par une forme idoine.

Réalisateur: Jeff Nichols – Acteurs: Matthew McConaughey, Tye Sheridan, Sam Shepard, Reese Witherspoon – Durée: 2:10 – Année: 2012 – Pays: USA

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Moland Fengkov

Moland Fengkov

Moland est le représentant officiel de Plume Noire au festival de Cannes. Outre sa passion du cinéma, il est photographe professionel et journaliste freelance.
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