Mak lai lai, cela veut dire dans la langue de Taksin qu’on a adoré le nouveau film du réalisateur au nom aussi imprononçable que celui d’un célèbre volcan islandais. Le 3e film présent à Cannes du Thaïlandais Apichatpong Weerasethakul place ce cinéaste parmi les valeurs sûres, avec qui on saura désormais à quoi s’en tenir. Ses détracteurs se seront passés de la torture que ses films peuvent leur faire subir, épargnant ainsi au reste du public un concert de strapontins claquants ou de ronflements tonitruants. Pour les autres, Oncle Boonmee confirme tout le bien que l’on pensait déjà des deux précédents opus. Tout en restant dans leur droite lignée, ce film réinvente son propre système pour surprendre, derrière des séquences en apparence simples, construites pour la plupart à partir de plans fixes, d’où se dégage une incroyable poésie, teintée de mysticisme. Dans le cinéma de celui qu’on surnomme Jo, le décor joue un rôle prépondérant, avec lequel communiquent les personnages. On est loin de la capitale bruyante, en proie à la guerre civile. Loin des clichés de la mégalopole, avec ses voies rapides aériennes, ses touristes en mal de plaisir, ses centres commerciaux gigantesques et ses clubs insomniaques. Chez Jo, la nature occupe le devant de la scène: les poissons chats font l’amour aux princesses défigurées dont la beauté se reflète sur la surface fugace de l’eau, et les esprits s’invitent au dîner, non pour glacer le sang, mais pour accompagner les êtres chers à la veille de leur mort, même si ils apparaissent sous les traits d’une sorte de Chewbacca au poil noir et aux yeux incandescents. Ces mêmes esprits, pour lesquels les Thaïlandais érigent une maison sous leur propre toit, rappellent que les forces de la nature nourrissent le cinéma de Jo, en dressant des ponts entre les vivants et l’au-delà. Jamais ridicules, faussement naïf et simples, les scènes dégagent une beauté intrinsèque qui relève de la magie. Assurément, Oncle Boonmee, avec Mon Bonheur de l’Ukrainien Sergueï Loznitsa, rehaussent le niveau d’une 63e compétition morose. Chapeau, Apichatpong ! Du coup, les deux autres films de la compétition officielle vus aujourd’hui, les pourtant bien tenus Fair Game (Doug Liman) et Route Irish (Ken Loach) passent complètement inaperçus sur le baromètre de l’enthousiasme.
Moland Fengkov
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