A propos du palmarès du festival de Cannes 2009

“Vivement que ça se termine, mais pourvu que ça dure.” En une phrase, Isabelle Huppert, la présidente du jury de cette 62e édition du Festival de Cannes aura tout résumé : en presque deux semaines, ce rendez-vous du 7e Art, l’un des plus importants, des plus prestigieux, des plus glamour de la planète cinéma, entraîne le festivalier dans un vortex aux multiples paradoxes. Enfermé dans une bulle spatio-temporelle, où les jours se suivent et se ressemblent, avec leurs petits rituels (pour nous, projection à partir de 8h30, conférences de presse, recherche attentive du cliché du jour, rédaction des papiers, projections, et, si l’occasion et l’envie s’en mêlent, soirée) et où une petite station balnéaire se transforme en centre du monde, autour duquel plus rien n’a d’importance, on en veut toujours plus, mais la fatigue et la boulimie visuelle aidant, on se demande toujours quand tout cela prendra fin. Et quand le rideau tombe, que la ville reprend ses droits, que la faune change de visage, que les barbares plient bagage, et qu’on se retrouve seul à errer encore un jour sur la Croisette sans tapis rouge, on se prend à constater qu’on n’est plus qu’un fantôme venant à la rencontre des images, une fois passé le pont. Les souvenirs se bousculent et s’entrechoquent, et on pense déjà à la prochaine saison.

Jacques Audiard (photo de gauche)

Mais revenons au palmarès, dans lequel figurent de nombreux coups de cœur de la rédaction. De quoi se réjouir de ce millésime 2009, comparé à une palme prévisible et consensuelle décernée l’année précédente à Entre les murs. N’en déplaise aux mauvaises langues qui ne se priveront pas de crier au favoritisme, on salue le bon goût et le courage d’Isabelle Huppert. Son palmarès semble à l’image de sa personnalité : sans concession, exigeant, sans compromis et non dénué de nuances qu’on s’amusera à décrypter à l’envi. Ce palmarès suscitera peut-être l’envie chez de nombreux festivaliers (dont des journalistes clairement désarmés, de leur propre aveu, face à la puissance d’un cinéma qui échappe à leurs perceptions, si ils ne les abordent pas avec un minimum de culture, d’ouverture d’esprit et d’intelligence) passés complètement à côté des films les plus exigeants et les plus novateurs de la compétition de retourner les voir en salle, à tête reposée, avec un cerveau neuf. Car là réside la magie de Cannes, et Isabelle Huppert a pleinement joué la carte de la cohérence avec cette magie : ne pas céder à la facilité, ni aux influences, ni à la vox populi. Mais honorer par le jeu des récompenses des cinéastes qui respectent et aiment le cinéma avec un grand C, qui ne s’enferment pas dans leur propre système (Loach, Almodovar, Tarantino), qui ne caressent pas le spectateur dans le sens du poil (Giannoli, Loach, encore) et qui continuent à explorer et à expérimenter un art inépuisable. Ici, nous n’avons que faire du lien affectif et artistique que d’aucuns ne peuvent s’empêcher de faire entre la présidente et le grand vainqueur. Si Huppert avait remporté le prix d’interprétation pour La Pianiste, de Michael Haneke, ce dernier n’en mérite pas moins sa Palme d’Or, pour son meilleur film à ce jour. On reconnaît les grands réalisateurs à leur capacité à se renouveler sans s’éloigner de leur credo, de leur foi en leur art. Haneke compte parmi ces auteurs, et chacun de ses films s’accompagne d’une attente fébrile, d’une curiosité empreinte de frilosité suspicieuse. On sait le cinéaste Autrichien soucieux de chahuter le spectateur, souvent en usant de la provocation pour mieux le renvoyer face à ses responsabilités. Avec Le Ruban blanc, il prend à revers les attentes, et livre une œuvre somme et originelle à la fois, austère mais puissante. Ici, pas de sexe trash, pas de massacre de famille, pas de suicide surprise à coups de jugulaire tranchée. Si violence il y a, elle ne se manifeste jamais explicitement à l’écran. Au contraire, elle rôde, s’immisce, plane : hors-champ, dans les ellipses, mais surtout, dans les dialogues et dans les rapports de hiérarchie qu’entretiennent les personnages, au sein d’un couple, d’une famille, d’une communauté, d’un village. Sous les paisibles apparences, le film dévoile des histoires de jalousie, d’inceste, d’humiliation, de frustration, de colère et de honte qui instillent une tension constante durant près de 2h30 et transforment la moindre requête d’un enfant auprès de son père pour garder l’oiseau blessé qu’il vient de recueillir en un supplice, une séance de torture où la peur de l’autorité castratrice écrase toute velléité d’émancipation et de liberté d’expression. S’il devait un jour remporter la Palme d’Or, c’était bien pour ce film.

Asia Argento

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Moland Fengkov

Moland Fengkov

Moland est le représentant officiel de Plume Noire au festival de Cannes. Outre sa passion du cinéma, il est photographe professionel et journaliste freelance.
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