Palmarès de Cannes 2013 : Steven adore Adèle

palmares-4561palmares-4070On le craignait puritain, et pourtant, on espérait que son amour du cinéma le pousserait à reconnaître la force artistique du véritable choc de la compétition officielle. Steven Spielberg n’a pas déçu et a déjoué les pronostics des esprits chagrins qui ne croyaient pas en son ouverture d’esprit, en attribuant une Palme d’or exceptionnelle non seulement à La Vie d’Adèle, chapitre 1 et 2, mais aussi à ses deux interprètes qui portent le film sur leurs épaules de bout en bout : Adèle Exarchopoulos et Léa Seydoux. D’ailleurs, le président du jury du 66e Festival de Cannes ne s’y est pas trompé : il a balayé du revers de la main les questions des journalistes posées à propos des scènes de sexe du film tout comme celles visant à rapprocher cette histoire de couple lesbien de l’actualité politique de la France (le jour de la remise des prix, des opposants au mariage gay affrontaient les forces de l’ordre à Paris et s’en prenaient violemment à la presse), arguant que le film d’Abdellatif Kéchiche était un pur objet de cinéma et racontait une histoire d’amour avant tout. C’est sur ces bases que son jury lui a décerné la Palme d’or.

palmares-4007Avant la remise des prix, pendant et encore après, la valse des rumeurs s’enclenche, et selon la fiabilité des sources, il est toujours de bon ton de s’adonner à toutes les interprétations possibles sur le palmarès et sur ce qu’il aurait pu être au terme des débats entre jurés. On raconte, par exemple, que Spielberg aurait craqué pour Le Passé d’Asghar Farhadi, qu’il lui aurait volontiers attribué la Palme, mais que Lynn Ramsay (voire Cristian Mungiu ? Celui-ci, en retrait durant la conférence de presse du jury en début de festival, s’est montré plus volubile à l’issue du palmarès) aurait défendu bec et ongles le film de Kéchiche. On comprend alors que, la Palme allant non seulement au film de Kéchiche, mais aussi à ses deux interprètes, le jury aurait trouvé un consensus pour le prix d’interprétation féminine récompensant le film de Farhadi, via Bérénice Béjo, qui ravit donc la récompense à Marion Cotillard la polyglotte, ou encore à Marine Vacth, qui, dans tout autre registre, livre un jeu tout en regards et générosité du corps dans le film de François Ozon, Jeune et Jolie. Les esprits chagrins regretteront qu’Emmanuelle Seigner reparte bredouille. Pas nous. Dans La Vénus à la fourrure de Roman Polanski, elle ne parvient pas à convaincre, qu’elle joue les mauvaises actrices ou les bonnes actrices.

palmares-4274Farhadi contenté par un prix d’interprétation féminine, la voie devenait royale pour Adèle. Mais il fallait aussi compter avec quelques autres films d’une maîtrise impressionnante, à commencer par Tel père tel fils, de Kore Eda Hirokazu. De tous les films traitant de la famille, celui-ci se distingue par son équilibre parfait et son sens de la nuance, sans jamais tomber dans le pathos, mais au contraire, en utilisant l’humour, il célèbre l’amour avec une infinie tendresse. Le Prix du jury lui revient de droit.

On s’étonnera du Grand Prix décerné aux frères Coen. Si Inside Llewyn Davis reste un excellent film, il n’en demeure pas moins un petit Coen, loin des chefs d’œuvre plus sombre et plus complexes que sont No country for old man, ou encore Miller’s crossing. Ce qui s’avère déjà beaucoup. Sa présence au palmarès aère l’ensemble des prix avec un film plus léger, moins exigeant, davantage meanstream, mais faisant preuve d’un savoir-faire indéniable.

On craignait fortement que parmi les films mettant en abyme le festival lui-même, comme celui d’ouverture, Gatsby le magnifique de Baz Luhrmann, celui de Paolo Sorrentino séduise, avec ses outrances et son extravagance, la bande à Steven. Ceux-ci ne se sont pas laissés avoir par l’outrecuidance esthétique de La Grande Bellezza, et c’est tant mieux. Au contraire, elle a su déceler parmi les films en lice ceux qui se démarquaient par une mise en scène en parfait accord avec leur sujet, sans chercher l’esbroufe : à ce titre, Amat Escalante livre un portrait de la société mexicaine contemporaine d’une violence rare, sans complaisance, mais surtout sans concession avec Heli. Son prix de la mise en scène lui revient de droit.

palmares-4347Si nous émettons des réserves sur la mise en scène du film de Jia Zhangke, qui aligne quatre histoires sans réel lien entre elles, comme autant de courts métrages sur la Chine den bas, force est de constater que pris individuellement, ces quatre segments offrent de réelles idées formelles des plus réjouissantes.

Enfin, au rayon des prix d’interprétation masculine, la concurrence restait sévère : Michael Douglas en vieille tata cruelle dans Ma vie avec Liberace de Steven Soderbergh, Oscar Isaac en chanteur folk raté chez les Coen, Ali Mosaffa, en père courage perdu au milieu d’une famille éclatée dans le Passé, et pourquoi pas, Mads Mikkelsen, dans Michael Kohlhaas d’Arnaud des Paillères. Si décerner le prix à Bruce Dern pour son rôle de vieux père complètement obnubilé par le million de dollars qu’il croit  à tort avoir gagné à la loterie, entraînant son fils dans un road-movie qui leur permettra de se redécouvrir, ne relève pas de la honte, on s’étonne néanmoins que le jury l’ait préféré, tant le film d’Alexander Payne reste mineur au milieu d’une sélection officielle de haute facture.

palmares-4423Au final, que retenir de cette 66e édition ? Une fois les polémiques sur les conditions de travail des techniciens tassées, que Bérénice Béjo et que l’équipe de Kéchiche se sont bien empressés de remercier publiquement sur scène, ainsi que celle sur les relations entre le réalisateur et l’auteure (Julie Maroh) de la BD dont La Vie d’Adèle s’inspire très librement, il restera de Cannes 2013 le souvenir d’un palmarès des plus cohérents (même si on regrettera les absences de Borgmann d’Alex Van Warmerdam et de Only lovers left alive de Jim Jarmusch), échappant au piège de la facilité : récompenser Sorrentino, Gray ou Winding Refn, tous décevants, bien que réalisant des films contenant des images fortes, démontrant une véritable recherche artistique. Spielberg, lui-même pouvant autant réaliser des blockbusters familiaux comme des films plus exigeants, restera comme un président du jury ayant su défendre ce que le cinéma peut offrir de meilleur. En cela, Spielberg est grand, et on le remercie pour ce millésime presque parfait.

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Moland Fengkov

Moland Fengkov

Moland est le représentant officiel de Plume Noire au festival de Cannes. Outre sa passion du cinéma, il est photographe professionel et journaliste freelance.
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