Le Festival de Cannes, c’est comme du vin. Qui se bonifie avec le temps. Ou pas. Quid du millésime 2012 ? A l’heure des pronostics, bien malin celui qui pourra voir dans le marc de café servi par les charmantes hôtesses du partenaire Nespresso le palmarès tel que le président Moretti le livrera le lendemain, à l’issue de la cérémonie de clôture. Si on joue la carte du consensus, Amour (lire la critique d’Amour) de Michael Haneke semble remporter tous les suffrages pour remporter la Palme d’or, mais, peut-il l’espérer, après avoir déjà décroché le trophée avec son précédent opus, le Ruban blanc ? Si on joue la carte de l’audace, Holy Motors (lire la critique de Holy Motors) de Leos Carax devrait logiquement se voir couronner, même si seule la presse française semble s’être laissé transporter par cet ovni sublime et agaçant. Personnellement, nous ajoutons à ces deux coups de cœur un film déjà oublié de la plupart des festivaliers qui, pourtant, se tient de bout en bout, tant sur le plan formel (de toute beauté) que narratif : Au-delà des collines (lire la critique d’Au-delà des collines) de Cristian Mungiu. Et n’oublions pas Vous n’avez encore rien vu, d’Alain Resnais, bel hommage au jeu d’acteurs, malgré des facilités de mises en scène.
Pour le reste, l’ensemble de la compétition laissera un arrière-goût amer et alarmant sur l’état de la production cinématographique actuelle, paresseuse, peu inventive, ennuyeuse au possible. La sélection suscite des questions sur la légitime ou pertinente présence en lice de certains films, dont la pauvreté artistique achevait des festivaliers déjà bien malmenés par l’ennui relatif de la première semaine et la mousson locale. Un seul film semble diviser les avis de façon radicale : Cosmopolis de David Cronenberg. Génie de la mise en scène ou vaste ratage, le film du Canadien alimente les quelques rares débats des fantômes qui arpentent encore, hagards, la Croisette. Voir au palmarès des arnaques arrogantes comme De Rouille et d’os (lire la critique deRouille et d’Os) de Jacques Audiard, des provocations à la lisière de l’abject comme Paradis : Amour (lire la critique deParadis : Amour) de Ulrich Seidl, ou d’outrecuidantes prétentions métaphysiques comme Post tenebras lux de Carlos Reygadas relèverait du hold-up pur et simple. Tel le dernier plan du beau mais trop sobre Dans la brume de Sergeï Loznitsa, les rumeurs et autres bruits de couloirs sur le palmarès circulent au ras du tapis rouge et s’évaporent dans les volutes de l’incertitude. On redoute un palmarès plan-plan et a contrario, également un palmarès à contre-pied qui inclurait fatalement des films aussi dispensables que déjà perdus dans les limbes de l’oubli.
Si cette 65 édition restera comme l’une des moins passionnantes des dernières années, elle aura néanmoins permis aux acteurs de donner le meilleur d’eux-mêmes. Ils sont nombreux à pouvoir prétendre au prix d’interprétation, d’Emmanuelle Riva à Mads Mikkelsen, en passant Jean-Louis Trintignant, l’ensemble de la troupe d’Alain Resnais, ou encore l’extraordinaire Denis Lavant ou la courageuse Margarethe Tiesel dans son rôle de vieille dondon autrichienne en mal d’amour au pays du tourisme sexuel africain.
La veille du verdict, le Palais des Festivals s’est notablement vidé de ses ombres furtives, de sa foule enivrée d’images et de champagne, après la rapidité avec laquelle les jours se sont écoulés depuis la seconde moitié du festival, tout semble aller au ralenti, dans les couloirs, sur la Croisette. Telles les limousines qui traversent à pas feutré les films de Carax et de Cronenberg, le festivalier n’aspire plus qu’à rejoindre le parking, couper le moteur et fermer les yeux après le clap de fin.
Moland Fengkov
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