Dès la scène d’ouverture, Villeneuve surprend en tenant le spectateur en haleine par la seule force de ses plans. La photographie, de toute beauté, désature légèrement les pelouses brûlées par le soleil que foule silencieusement un groupe d’intervention du FBI spécialisé dans les enlèvements. L’intérieur de l’habitacle d’un blindé, la concentration sur les visages des agents en tenue de combat. La caméra en vue subjective fonçant sur la façade d’une maison. Chaque plan se gorge de tension extrême. Jusqu’à la première découverte macabre, qui plante le décor. On pourrait croire que le film s’oriente dès le début vers le thriller à la Seven de David Fincher, mais il n’en est rien. Ici, il est question des moyens employés pour justifier les fins. En filigrane, le film parle de l’incapacité de l’Etat à enrayer par des moyens légaux la mainmise des cartels sur les territoires.
Emily Blunt, tout en finesse, campe un agent du FBI gardienne de la morale et de la probité, face à des agents de la CIA faisant fi des procédures pour taper dans la fourmilière des cartels. Evitant le piège du féminisme facile, son personnage trouve un équilibre entre force brute et faiblesse d’âme. L’agent reçoit des coups, mais sait en donner. Face à elle, Benicio del Toro, en tueur à gages motivé par le sentiment de vengeance, livre une performance tout en détermination radicale, tandis que Josh Brolin compose un cowboy en tongs arrogant et sûr de lui. Le trio porte le film avec brio tout au long de ses différentes parties chacune aussi angoissante l’une que l’autre.
La séquence tournée en caméra infrarouge dans le désert et les tunnels qu’empruntent les passeurs et les trafiquants relève de la prouesse de mise en scène, en cela qu’elle porte la tension du film à son acmé. Réaliste, le film ne dit finalement pas grand-chose, mais montre suffisamment pour qu’on comprenne que l’on assiste à une guerre presque vaine qui touche des victimes collatérales comme ce flic mexicain corrompu pour faire vivre sa famille. Un tantinet cynique, le film éclabousse l’écran de son pessimisme, d’autant plus douloureux qu’il l’exprime à travers des plans lumineux. Lumineux, mais sans chaleur. A moins que cette chaleur glace trop le sang pour qu’on la trouve agréable.
Moland Fengkov
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