Sicario

Affiche de Sicario

Affiche du film Sicario

Loin des roublardises de scénario d’Incendies, Denis Villeneuve livre avec Sicario son film le plus meanstream, le plus accessible. Mais sans sombrer dans le spectaculaire hollywoodien et en y gardant une signature auteuriste bienvenue. Ne vous attendez pas à des scènes d’actions pétaradantes, des courses poursuites interminables, des corps à corps millimétrés. Dans Sicario, la violence reste omniprésente et de façon insidieuse, impalpable. Pour exploser sans prévenir de façon la plus abrupte et la plus radicale possible. Habitée par une bande son inquiétante de toute beauté, tout en sons industriels et de nappes électro acoustiques égayées de vocalises éthérées, la caméra survole les terres arides du sud des Etats-Unis et du nord du Mexique, l’étendue des villes où le chaos règne en maître, la froideur brûlée des quartiers résidentiels sans âme, pour mieux signifier que dans la guerre sans merci que se livrent les autorités aux narcotrafiquants, la peur habite chaque repli du quotidien et la mort rôde au fond des tunnels sous la terre pour mieux ramper en surface et s’exposer sur les hauteurs des ponts, à l’instar de ces corps démembrés et décapités, pendus sous le regard habitué des habitants. Chaque séquence contient en elle cette tension qui parfois explose à la figure du spectateur. Une explosion, une fusillade dans un embouteillage, des corps exécutés sans sommation.

Dès la scène d’ouverture, Villeneuve surprend en tenant le spectateur en haleine par la seule force de ses plans. La photographie, de toute beauté, désature légèrement les pelouses brûlées par le soleil que foule silencieusement un groupe d’intervention du FBI spécialisé dans les enlèvements. L’intérieur de l’habitacle d’un blindé, la concentration sur les visages des agents en tenue de combat. La caméra en vue subjective fonçant sur la façade d’une maison. Chaque plan se gorge de tension extrême. Jusqu’à la première découverte macabre, qui plante le décor. On pourrait croire que le film s’oriente dès le début vers le thriller à la Seven de David Fincher, mais il n’en est rien. Ici, il est question des moyens employés pour justifier les fins. En filigrane, le film parle de l’incapacité de l’Etat à enrayer par des moyens légaux  la mainmise des cartels sur les territoires.

Emily Blunt, tout  en finesse, campe un agent du FBI gardienne de la morale et de la probité, face à des agents de la CIA faisant fi des procédures pour taper dans la fourmilière des cartels. Evitant le piège du féminisme facile, son personnage trouve un équilibre entre force brute et faiblesse d’âme. L’agent reçoit des coups, mais sait en donner. Face à elle, Benicio del Toro, en tueur à gages motivé par le sentiment de vengeance, livre une performance tout en détermination radicale, tandis que Josh Brolin compose un cowboy en tongs arrogant et sûr de lui. Le trio porte le film avec brio tout au long de ses différentes parties chacune aussi angoissante l’une que l’autre.

La séquence tournée en caméra infrarouge dans le désert et les tunnels qu’empruntent les passeurs et les trafiquants relève de la prouesse de mise en scène, en cela qu’elle porte la tension du film à son acmé. Réaliste, le film ne dit finalement pas grand-chose, mais montre suffisamment pour qu’on comprenne que l’on assiste à une guerre presque vaine qui touche des victimes collatérales comme ce flic mexicain corrompu pour faire vivre sa famille. Un tantinet cynique, le film éclabousse l’écran de son pessimisme, d’autant plus douloureux qu’il l’exprime à travers des plans lumineux. Lumineux, mais sans chaleur. A moins que cette chaleur glace trop le sang pour qu’on la trouve agréable.

Denis Villeneuve – Acteurs: Emily Blunt, Josh Brolin, Benicio Del Toro – Durée: 2:02 – Année: 2015 – Pays: Etats-Unis
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Moland Fengkov

Moland Fengkov

Moland est le représentant officiel de Plume Noire au festival de Cannes. Outre sa passion du cinéma, il est photographe professionel et journaliste freelance.
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